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ETUDE IV
BABYLONE ACCUSÉE DEVANT LE TRIBUNAL SUPREME
Les pouvoirs civils, sociaux et ecclésiastiques de Babylone, de la chrétienté, sont dans la balance actuellement. Accusation contre les pouvoirs civils. — Accusation contre le système social, actuel. — Accusation contre les pouvoirs ecclésiastiques. — Même maintenant, au milieu de son allégresse, la main de sa condamnation trace sa sentence qu’on peut lire distinctement, bien que l’épreuve n’ait pas encore atteint son dénouement final.
« LE DIEU Fort, Dieu, l’Éternel, a parlé, et a appelé la terre, du soleil levant jusqu’au soleil couchant.
Il appellera les cieux d’en haut [les pouvoirs élevés ou dirigeants], et la terre [les masses populaires], pour juger [ceux qui prétendaient être] son peuple [la chrétienté] »
« Ecoute, O mon peuple, et je parlerai ; Israël [Israël nominal spirituel — Babylone, la chrétienté], et je témoignerai au milieu de toi… Mais Dieu dit au méchant : Qu’as-tu à faire, de redire mes statuts, et de prendre mon alliance dans ta bouche, toi qui hais la correction, et qui as jeté mes paroles derrière toi ? Si tu as vu un voleur, tu t’es plu avec lui, et ta portion est avec les adultères. Tu livres ta bouche au mal, et ta langue trame la tromperie. Tu t’assieds, tu parles contre ton frère [les vrais saints, la classe du froment] ; tu diffames le fils de ta mère. Tu as fait ces choses-là, et j’ai gardé le silence ; tu as estimé que j’étais véritablement comme toi ; MAIS JE T’EN REPRENDRAI, ET JE TE LES METTRAI DEVANT LES YEUX.
« Considérez donc cela, vous qui oubliez Dieu, de peur que je ne déchire, et qu’il n’y ait personne qui délivre ». — Ps. 50 : 1, 4, 7, 16-22.
Comme conséquence logique du remarquable accroissement de la connaissance accordée providentiellement sur tous les sujets dans ce « jour de préparation » du règne millénaire de Christ, les pouvoirs civils et
(P76) ecclésiastiques de la chrétienté, Babylone, sont maintenant dans la balance de la Justice, aux yeux du monde entier. L’heure du jugement étant venue, le juge est à son siège et les témoins (le public en général) sont présents ; à cette étape de la mise à l’épreuve, il est permis aux « pouvoirs existants » d’entendre les accusations et ensuite de se défendre. Leur cause est jugée au grand jour, et le monde entier suit les débats avec un intérêt intense et fiévreux.
L’objet de cette mise à l’épreuve n’est pas de convaincre le grand Juge de la position réelle de ces pouvoirs, car nous sommes déjà avertis de leur condamnation par sa « sûre parole prophétique », et déjà les hommes peuvent lire sur la muraille de leur salle de festin l’écriture de la mystérieuse mais fatale main : « MÉNÉ, MÉNÉ, TEXEL, UPHARSIN ! ». La présente épreuve comporte la discussion des droits et des torts, des doctrines, des autorités, etc., pour manifester à tous les hommes, le vrai caractère de Babylone, de façon que, bien qu’ils aient été pendant longtemps trompés par ses vaines prétentions, ils puissent éventuellement, grâce à cette procédure de jugement, discerner pleinement la justice de Dieu dans son renversement définitif. Dans cette mise à l’épreuve, les prétentions de Babylone à une sainteté supérieure, à une autorité divine et au droit de gouverner le monde, aussi bien que ses nombreuses prétentions doctrinales exorbitantes et contradictoires, sont toutes mises en question.
Evidemment honteux et confus devant une telle multitude de témoins, les pouvoirs civils et ecclésiastiques, par leurs représentants, les dirigeants et le clergé, s’efforcent de se justifier. Jamais, dans toutes les annales de l’histoire, un tel état de choses n’a existé. Jamais auparavant des ecclésiastiques, des hommes d’État et des dirigeants civils ne furent pressés de questions, soumis à des interrogations contradictoires et critiqués comme ils le sont maintenant à la barre du jugement public par lequel l’esprit du Seigneur qui scrute les cœurs agit sur eux à leur grande confusion. Malgré leur détermination et leurs efforts pour
(P 77) se soustraire aux questions et à l’interrogation contradictoire auxquels les soumet l’esprit de nos jours, ils sont obligés de les subir et le jugement continue.
BABYLONE PESÉE DANS LA BALANCE
Tandis que les masses mettent hardiment aujourd’hui les pouvoirs civils et ecclésiastiques de la chrétienté au défi de prouver qu’ils ont, selon leurs prétentions, l’autorité divine de gouverner, ni ces masses, ni ces dirigeants ne comprennent que Dieu a accordé, ou plutôt permis un bail de pouvoir (Vol. II, p. 80) à des gouvernants tels que l’humanité en général a pu en choisir ou en tolérer, bons ou mauvais, jusqu’à la fin des « Temps des Gentils », Ils ne comprennent pas que, durant ce temps, Dieu a permis au monde de diriger dans une grande mesure ses propres affaires et de se gouverner selon sa propre voie, dans le but qu’en agissant ainsi les hommes puissent apprendre que dans leur condition déchue, ils sont incapables de se gouverner eux-mêmes et qu’ils ne gagnent pas à essayer soit de se passer de Dieu ou à se passer les uns des autres. — Rom. 13 : 1.
Les gouvernants et les classes dirigeantes du monde, ne comprenant pas ces choses, mais profitant des occasions favorables et abusant des masses moins fortunées qui, par ignorance ou volontairement les ont soutenus au pouvoir, ont essayé d’imposer aux masses illettrées l’absurde doctrine de la désignation par Dieu et du « droit divin des rois » — civils et ecclésiastiques. Des siècles durant, l’ignorance et la superstition ont été imposées et encouragées parmi les masses par ces pouvoirs civils et ecclésiastiques à seule fin de perpétuer cette doctrine qui convient si bien à leur politique.
Ce n’est que récemment que la connaissance et l’instruction se sont propagées, et ceci grâce à des circonstances providentielles et non aux efforts des rois et
(P 78) du clergé. La presse à imprimer et les moyens de transport à vapeur ont été les principaux agents de leur progrès. Avant ces interventions divines, les masses des hommes, étant dans une grande mesure isolées les unes des autres, étaient incapables d’apprendre quelque chose en dehors de leurs propres expériences. Mais ces moyens ont été les instruments d’une augmentation prodigieuse des voyages et des relations sociales et commerciales, si bien que tous les hommes, quel que soit leur rang ou leur position, peuvent bénéficier des expériences des autres à travers le monde entier.
Le grand public est maintenant devenu celui qui lit, qui voyage, qui réfléchit, mais il est en train de devenir rapidement le public mécontent et criailleur, n’ayant plus guère de respect pour les rois et les potentats qui ont ensemble maintenu l’ancien ordre des choses sous lequel il s’irrite maintenant d’une manière incessante. Il y a seulement trois cent cinquante ans qu’un décret du Parlement anglais fut rendu en faveur des illettrés parmi ses membres, en ces termes : « A tout Lord du Parlement et à tout Pair du Royaume ayant place ou voix au Parlement, sur sa requête ou sa prière, réclamant le bénéfice du présent acte, bien qu’il ne sache pas lire ». Des vingt-six Barons qui signèrent la Grande Charte, on dit que trois seulement écrivirent leurs noms, tandis que les vingt-trois autres firent une croix.
Discernant que la tendance de l’instruction générale des masses populaires était de les conduire à juger les pouvoirs dirigeants au lieu de contribuer à leur stabilité, le ministre russe de l’Intérieur proposa, pour enrayer l’extension du nihilisme, de mettre fin à l’enseignement supérieur de tous les membres des classes pauvres. En 1887, il publia un décret d’où nous extrayons le passage suivant : « Les gymnases, les Ecoles supérieures et les Universités refuseront désormais de recevoir comme élèves ou comme étudiants les enfants de domestiques, de paysans, de commerçants, de boutiquiers, de fermiers, et ceux de condition semblable, dont les descendants
(P79) ne devraient pas être élevés hors du cercle auquel ils appartiennent, car ainsi qu’une longue expérience l’a montré, ils sont amenés à devenir mécontents de leur sort, et irrités contre les inégalités inévitables des positions sociales existantes ».
Mais il est trop tard, à présent, pour qu’une politique comme celle-là réussisse, même en Russie. .C’est cette politique que la Papauté a poursuivie alors qu’elle était toute puissante. Pourtant, cette institution rusée se rend compte maintenant que ce serait un échec qui amènerait à coup sûr une réaction contre la puissance qui essaierait pareille politique. La lumière a lui sur l’intelligence des masses, et l’on ne peut reléguer celles-ci à leurs ténèbres antérieures. Avec l’augmentation graduelle de la connaissance, on a exigé des formes républicaines de gouvernement, et là forme monarchique a été, de toute nécessité, grandement modifiée par suite de leur exemple et des revendications du peuple.
A l’aube du nouveau jour, les hommes commencent à comprendre que, sous la protection de fausses prétentions, soutenues par le peuple dans son ignorance première, les classes dirigeantes ont tiré égoïstement profit des droits et privilèges naturels du reste de l’humanité. Alors, considérant et pesant les prétentions de ceux qui sont au pouvoir, ils tirent rapidement leurs propres conclusions, sans égard aux pauvres apologies qu’on leur présente. Mais eux-mêmes n’étant pas poussés par de plus nobles principes de justice et de vérité que les classes dirigeantes, le jugement des masses est tout aussi éloigné du droit et de la justice que celui des dirigeants, les uns et les autres ne voyant qu’un côté de la question. Leurs disposition croissante est d’ignorer inconsidérément toute loi et tout ordre plutôt que d’examiner calmement et sans passion les prétentions de justice sous toutes ses faces à la lumière de la. Parole de Dieu.
Pendant que Babylone, la chrétienté — l’organisation actuelle et l’ordre actuel de la société tels qu’ils sont représentés par ses hommes d’Etat et son clergé — est maintenant pesée dans la balance de l’opinion publique, on comprend que ses prétentions monstrueuses sont absurdes et sans fondement ; les lourdes accusations qui sont portées contre elles — celles
(P 80) d’égoïsme et de transgression de la règle d’or de Christ, dont elle revendique- le nom et l’autorité — ont déjà fait pencher la balance à tel point que, même maintenant, le monde a peu de patience pour entendre les preuves supplémentaires du caractère vraiment antichrétien de Babylone.
Ses représentants appellent l’attention du monde sur la gloire de leurs royaumes, le triomphe de leurs armes, la splendeur de leurs villes et de leurs palais, sur la valeur et la force de leurs institutions, politiques et religieuses. Ils s’efforcent de faire renaître l’esprit des temps passés de patriotisme étroit et de superstition qui poussait les gens à se courber pleins de soumission et d’adoration devant ceux qui détenaient l’autorité et le pouvoir, qui les faisait crier de toutes leurs forces : « Vive le roi ! » et considérer avec vénération ceux qui prétendaient être des représentants de Dieu.
Mais ces jours-là sont passés : ce qui reste de l’ignorance et de la superstition d’antan disparaît rapidement, en même temps que les sentiments de patriotisme étroit et d’aveugle révérence religieuse pour faire place à l’indépendance, à la suspicion et au défi qui promettent, avant peu, de conduire à la lutte mondiale, à l’anarchie. Les peuples des divers navires d’Etat parlent avec colère et menaces aux capitaines et aux pilotes, et en arrivent presque à se mutiner. Ils déclarent que la présente politique de ceux qui sont au pouvoir consiste à les attirer sur les marchés d’esclaves de l’avenir, de faire trafic de tous leurs droits naturels et de les réduire à l’esclavage de leurs pères. Beaucoup insistent avec une véhémence croissante, pour qu’on destitue les capitaines et les pilotes actuels, et qu’on laisse aller les navires à la dérive, pendant qu’eux se disputent entre eux pour avoir le dessus. Mais contre cette clameur sauvage et dangereuse, les capitaines et les pilotes, les rois et les hommes d’Etat, s’opposent et maintiennent leur position de puissance, en criant pendant tout ce temps-là au peuple : « A bas les mains ! vous allez entraîner le vaisseau contre les rochers ! ». Puis les instructeurs religieux
(P 81) s’avancent et conseillent au peuple de se soumettre, et cherchant à faire valoir leur propre autorité comme venant de Dieu, ils se mettent de connivence avec les pouvoirs civils pour maintenir le peuple sous la contrainte. Mais eux aussi commencent à s’apercevoir que leur pouvoir disparaît et ils cherchent quelque moyen pour le renforcer. Ainsi parlent-ils d’union et de coopération entre eux, et nous les entendons discuter avec l’État pour obtenir plus d’assistance de lui, promettant en retour de soutenir de leur pouvoir (déclinant) les institutions civiles. Pendant tout ce temps, une tempête se lève, et tandis que les masses populaires, incapables de comprendre le danger, continuent à se plaindre à grands cris, le cœur de ceux qui sont au gouvernail des navires d’Etat défaille de frayeur à la vue de ce qui doit sûrement arriver.
Les pouvoirs ecclésiastiques, en particulier, sentent qu’il est de leur devoir de rendre des comptes afin de sauver les apparences, et si possible, contenir ainsi le courant révolutionnaire du sentiment public contre eux. Mais en essayant de s’excuser des maigres bons résultats de leur puissance des siècles passés, ils ne font qu’ajouter à leur propre confusion, à leur perplexité, et éveillent l’attention des autres sur le réel état de choses actuel. On peut voir constamment de telles apologies dans les colonnes de journaux profanes et religieux. Cependant, en contraste frappant avec ces apologies, paraissent librement et sans crainte, les critiques du monde à l’adresse, à la fois des pouvoirs civils et des pouvoirs ecclésiastiques de la chrétienté. En voici quelques exemples extraits de rapports de presse :
ACCUSATION DES POUVOIRS CIVILS PAR LE MONDE
« Parmi toutes les curieuses croyances de la race humaine, il n’en est pas de plus étrange que celle qui fait que le Dieu Tout-Puissant choisit avec soin quelques-uns des membres les plus ordinaires du genre humain, souvent maladifs, stupides et vicieux, pour régner sur de grandes communautés, sous sa protection spéciale, comme représentants de Dieu sur la terre ». — New York Evening Post.
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Il y a quelques années, un autre journal déclarait, sous le titre « Une pauvre compagnie de rois » :
« On dit avec quelque vraisemblance que le roi Milan de Serbie est fou. Le roi de Württemberg est un lunatique partial. Le dernier roi de Bavière s’est suicidé alors qu’il était fou, et le dirigeant actuel de ce pays est un idiot. Le Tsar de Russie remplit cette fonction parce que son frère, l’héritier naturel, fut jugé mentalement incapable, et le Tsar actuel est affligé de mélancolie depuis le moment de Son couronnement ; il a fait appel aux soins des spécialistes psychiatres d’Allemagne et de France. Le roi d’Espagne est une victime de la scrofule et n’atteindra probablement pas l’âge d’homme. L’empereur d’Allemagne a, dans une oreille, un abcès incurable qui affectera éventuellement son cerveau. Le roi du Danemark a légué un sang empoisonné à une demi-douzaine de dynasties. Le sultan de Turquie est affligé de dépression mentale. Il n’y a pas un trône en Europe où les péchés des pères ne sont pas visiblement descendus sur les enfants, et dans une génération ou deux, il n’y aura plus ni Bourbon, ni Habsbourg, ni Romanoff, ni Guelf, pour irriter et gouverner le monde. Le sang bleu de cette espèce ne vaudra pas cher dans les années 1900. Il s’élimine de lui-même des problèmes de l’avenir ».
Un autre journaliste de la presse quotidienne calcule comme suit ce que coûte la royauté :
« A l’accession de la reine Victoria au trône, il fut entendu qu’elle recevrait 385 000 £ par an, avec la possibilité de toucher de nouvelles pensions s’élevant à 1 200 £ par an, c’est-à-dire l’équivalent d’une annuité de 19 871 £. Ceci fait un total complet de 404 871 £ par an pour la Reine seule, dont 60 000 £ pour sa bourse personnelle, c’est-à-dire simplement son argent de poche. Le duché de Lancaster qui demeure toujours sous l’administration de la couronne, verse également 50 000 £ par an dans la bourse personnelle. Ainsi la Reine a 110 000 £ à dépenser par an, car les autres dépenses de sa maison sont couvertes sous d’autres chapitres de la- Liste civile. Lorsqu’on annonce qu’un don charitable de 50 £ ou de 100 £ est fait par la Reine, on ne doit pas supposer qu’il sort de la cassette personnelle, car il y a un article séparé de 13 200 £ pour les actions royales d’aumônes, de charité et de bienfaisance. Parmi les charges
(P 83) de la maison royale, vingt sont classées comme étant d’ordre politique, avec un montant total d’appointements de 21 582 £ par an, la règle étant qu’un homme touche le salaire et qu’un autre fait le travail. La branche médicale comprend vingt-cinq personnes, depuis des docteurs éminents jusqu’aux pharmaciens tous ayant à maintenir le corps royal en bonne santé, tandis que trente-six aumôniers ordinaires et neuf prêtres ordinaires servent l’âme royale. Le ministère, de Lord Chamberlain comprend une liste fastidieuse de charges, parmi lesquelles, tous mélangés confusément avec le régisseur de théâtre, le poète lauréat et le conservateur des tableaux de peinture, il y a le patron de barque, le gardeur de cygnes, et le conservateur des joyaux dans la Tour. La charge la plus curieuse sous le chapitre de la Chasse royale est celle de grand fauconnier héréditaire, tenue par le duc de St-Albans aux appointements de 1 200 £ par an. Il est probable que le duc ne connaît pas la différence qui existe entre un faucon et un pingouin, et qu’il n’a jamais eu l’intention de la trouver. Depuis son accession au trône, la Reine Victoria a supprimé beaucoup d’emplois inutiles, faisant ainsi des économies appréciables qui sont venues grossir sa volumineuse, cassette personnelle.
Ayant ainsi pourvu généreusement la Reine, la nation britannique devait donner quelque chose à son mari. Le Prince Albert reçut par un vote spécial 30 000 £ par an, en outre des 6 000 £ par an comme feld-maréchal, 2 933 £ par an comme colonel de deux régiments, 1 120 £ par an comme gouverneur du château de Windsor et 1 500 £ comme garde-forestier de Windsor et des parcs de la résidence. Dans l’ensemble, le mari de la Reine a coûté à la nation 790 000 £ durant ses vingt et un ans de vie conjugale, et a élevé une grande famille sur le compte de la nation. Ensuite vient l’Impératrice Augusta d’Allemagne, qui touche 8 000 £ par an, en plus d’une dot de 40 000 £ et de 5 000 £ pour les préparatifs de noces. Pourtant, cette allocation libérale n’est pas suffisante pour payer son voyage en Angleterre afin de voir sa mère, car à chaque fois, on lui paie 40 £ pour la traversée. Lorsque le Prince de Galles a atteint sa majorité, il a reçu une bagatelle de 601 721 £ comme cadeau d’anniversaire, c’est-à-dire le montant des revenus accumulés du Duché de Cornouailles jusqu’à cette époque. Depuis lors, il a reçu une moyenne de 61 232 £ par an du Duché. La nation a également dépensé 44 651 £ pour les réparations faites à la Maison Marlborough, la résidence urbaine du Prince depuis 1871 ; elle lui paie 1 350 £ par an comme colonel du Dixième Hussards, lui donne
(P 84) 23 450 £ pour régler ses dépenses de mariage, alloue 10 000 £ par an à sa femme, et elle lui a donné à lui 60 000 £ comme argent de poche lors de sa visite dans l’Inde en 1875. En tout, il a tiré 2 452 200 £ (plus de 12 000 000 de dollars) dans la poche de John Bull jusqu’à il y a dix ans, et depuis il continue à toucher régulièrement.
« Voyons maintenant les fils et les filles plus jeunes. La Princesse Alice a reçu 30 000 £ lors de son mariage, en 1862, et une rente de 6 000 £ jusqu’à sa mort en 1878. Le Duc d’Edimbourg a reçu 15 000 £ par an à sa majorité, en 1866, et en outre 10 000 £ par an à son mariage, en 1874, en plus des 6 883 £ pour ses dépenses de mariage et les frais de réparations à sa demeure. C’est ce qu’il reçoit pour ne rien faire d’autre que d’être un Prince. En travaillant comme capitaine, et plus tard dans la Marine comme amiral ? il a gagné 15 000 £. Lors de son mariage avec le Prince Christian de Schleswig-Holstein, en 1866, la Princesse Héléna a reçu une dot de 30 000 £ et un don annuel et pour la vie de 7 000 £, tandis que son mari reçoit 500 £ par an comme Garde-Forestier du parc résidentiel de Windsor. La Princesse Louisa a reçu les mêmes faveurs que sa sœur Héléna. Le Duc de Connaught a commencé sa vie en 1871 en recevant de la nation 15 000 £ par an, et à son mariage, en 1879, cette pension s’éleva à 25 000 £. Il exerce maintenant le commandement de l’armée de Bombay avec 6 600 £ par an, avec des émoluments considérables. Le Duc d’Albanie a reçu, en 1874, 15 000 £ par an, somme qui fut élevée à 25 000 £ lors de son mariage, en 1882, et sa veuve reçoit 6 000 £ par an. Le malheureux Duc fut le génie de la famille, et s’il avait été un citoyen ordinaire avec des chances moyennes, il eût pu gagner une vie confortable comme avocat, car- c’était un orateur. A son mariage, la Princesse Béatrice reçut la dot habituelle de 30 000 £ et une rente annuelle de 6 000 £. Ainsi la nation, depuis l’accession de la Reine au trône, jusqu’à la fin de 1886, a payé 4 766 083 £ pour le luxe d’un prince consort, cinq princesses et quatre princes, sans compter les frais spéciaux de poche, les résidences gratuites et l’exemption d’impôts.
« Mais ceci n’est pas tout. La nation doit soutenir non seulement les descendants de la Reine mais aussi ses -cousins et cousines, ses oncles et ses tantes. Je ne vais indiquer que les sommes totales reçues par ces royaux pensionnés depuis 1837. Léopold, roi des Belges, a reçu, simplement parce qu’il avait épousé la tante de la Reine,
(P 85) 50 000 £ par an jusqu’à sa mort, soit un total de 1 400 000 £ durant le règne actuel. Toutefois, il avait un certain sens d’honnêteté, car lorsqu’il devint le roi des Belges, en 1834, il fit verser sa pension à des fondés de pouvoir, ne se réservant que des rentes annuelles pour ses domestiques et l’entretien de sa Maison de Claremont, et lorsqu’il mourut la somme totale fut reversée à l’Echiquier. Il n’en a pas été de même pour le roi du Hanovre, oncle de la Reine. Il prit tout ce qu’il put toucher, savoir 21 000 £, ce qui, de 1837 à 1851, donne un total de 294 000 £. La Reine Adelaïde, veuve de Guillaume IV, toucha 100 000 £ par an pendant douze ans, soit 1 200 000 £ en tout. La mère de la Reine, la Duchesse de Kent, reçut 30 000 £ par an, depuis le couronnement de sa fille jusqu’à sa mort, soit un total de 720 000 £. Le Duc de Sussex, un autre oncle, reçut 18 000 £ par an pendant six ans, soit un total de 108 000 £. Le Duc de Cambridge, oncle n° 7, absorba 24 000 £ par an, soit en tout 312 000 £, tandis que sa veuve, -qui vit encore, a reçu 6 000 £ par an depuis la mort de son mari, soit un total de 222 000 £. La Princesse Augusta, autre tante, eut en tout 18 000 £ environ. La landgravine de Hesse, tante n” 3, s’assura environ 35 000 £. La Duchesse ‘de Gloucester, tante n° 4, s’en alla avec 14 000 £ par an, soit pendant vingt ans, un total de 280 000 £ en tout. La Princesse Sophia, une autre tante encore, reçut 167 000 £, et la dernière tante, la Princesse Sophia de Gloucester, nièce de Georges III, reçut 7 000 £ par an pendant sept ans, soit 49 000 £. Ensuite, le Duc de Mecklenburg-Strelitz, le cousin de la Reine, fut, payé 1 788 £ par an, pendant vingt-trois ans du règne, soit 42 124 £.
« Le Duc de Cambridge, comme commandant en chef de l’armée britannique, avec des pensions, des soldes de commandant en chef, de colonel de plusieurs régiments et de garde-forestier de plusieurs parcs dont il fit en grande partie des réserves privées de gibier, reçut 625 000 du trésor public. Sa sœur, la Duchesse de Mecklenburg-Strelitz, a reçu 132 000 £, et sa seconde sœur, « la grosse Mary », Duchesse de Teck, a pris 153 000 £. Ceci fait un énorme total de 4 357 124 £ que la nation a payé pour soutenir les oncles, tantes, cousins et cousines de la Reine durant son règne.
« Outre les sommes données sur la Liste civile de la Reine, le montant de l’achat des quatre yachts royaux et celui de leur entretien sont compris dans les budgets de la Marine, bien que ce
(P86) soit-là légitimement des dépenses de la royauté. Le prix d’achat fut de 275 528 £, et le total des frais d’entretien, des soldes, des pensions et de l’entretien des équipages pendant dix ans s’éleva à 346 560 £, soit un total de 622,088 £ pour ce seul chapitre.
« En résumé, les nombreux oncles, tantes, cousins et cousines de la Reine, ont coûté 4 357 124 £, son mari, ses fils et ses filles 4 766 083 £’ elle-même et sa maison 19 838 679 £, et ses yachts 622088 £. Cela fait un total de 29 583 974 £ [près de 150 millions de dollars] que la nation britannique a dépensé pour la monarchie durant le présent règne [jusqu’en 1888]. Le jeu en vaut-il la chandelle ? C’est là un prix exorbitant pour avoir la stabilité, car cela signifie que le peuple est imposé à la limite de sa capacité pour garder dans l’oisiveté un grand nombre de personnes qui feraient plus de bien au pays si elles gagnaient honnêtement leur vie ».
Le couronnement spectaculaire du Tsar de Russie fut un exemple manifeste de l’extravagance royale, destinée, comme le sont tous les panaches magnifiques de la royauté, à impressionner les masses avec l’idée que leurs maîtres sont tellement au-dessus d’eux en gloire et en dignité qu’ils méritent leur adoration comme des êtres supérieurs, et leur obéissance la plus abjecte et la plus servile. On dit que ce grand faste royal coûta, en cette occasion 25 000 000 de dollars.
A propos de cette extravagance, si en contraste avec les conditions lamentables des millions de paysans dont la misère fut portée à la connaissance du monde entier lors de la famine de 1893, nous extrayons des commentaires du journal anglais The Spectator, ce qui suit :
« Il est difficile d’étudier, à propos des préparatifs en vue du couronnement russe, les comptes rendus qu’on croirait devoir être imprimés en or sur de la soie pourpre, sans avoir une sensation de dégoût, et plus spécialement si, en même temps, nous lisons les descriptions faites des Arméniens que les Russes ont refusé de protéger, bien qu’ils en eussent le pouvoir. Nous pouvons, avec un effort, évoquer la merveilleuse scène se déployant dans Moscou, avec son architecture asiatique et ses coupoles étincelantes, ses rues regorgeant d’uniformes européens somptueux
(P 87) et de vêtements asiatiques plus somptueux encore, de princes blancs en rouge, de princes jaunes en bleu, de princes bruns en drap d’or, les maîtres des tribus venus de l’Extrême-Orient, le dictateur de Chine, le général japonais brun devant qui s’est prosterné ce dictateur, côte à côte avec des membres de toutes les familles régnantes d’Europe, et des représentants de toutes les églises connues, sauf celle des Mormons, et de tous les peuples qui obéissent au Tsar ; il y en a, croyons-nous, quatre-vingts d’entre eux ; il se trouve également des représentants de chaque armée de l’Occident, tous se déplaçant au milieu de régiments infinis en nombre et en variétés d’uniformes, et à travers des millions d’humbles gens — à demi-Asiatiques, à demi-Européens — remplis d’émotion et de dévotion pour leur seigneur terrestre. Nous pouvons, par anticipation, entendre les hurlements des foules interminables, les chœurs de la multitude des moines, les salves d’artillerie qui sont répétées de place en place jusqu’à ce que, à travers toute la partie septentrionale du monde, de Riga à Vladivostok, tous les hommes entendent au même moment que le Tsar s’est placé la couronne sur la tête. L’Anglais étudie tout cela comme il étudierait un poème de Moore, et il trouve que c’est à la fois fastueux et écœurant. N’est-ce pas là trop grandiose pour la grandeur ? Cela ne tient-il pas plutôt de l’opéra que de la vie ? N’est-ce pas là quelque chose comme un crime, dans un Empire comme la Russie avec ses millions sur millions de gens qui souffrent, dans la dépense gigantesque qui produit ces effets de pourpre ? Cinq millions de livres sterling pour un cérémonial ! Existe-t-il un principe sur lequel on puisse justifier une telle dépense, même d’une manière spécieuse ? N’est-ce pas là le gaspillage d’un Belshatsar, l’étalage d’un orgueil presque démentiel, un déversement de trésor comme un flot ainsi qu’en déversent parfois des rois orientaux, uniquement pour susciter une émotion dans un esprit plus que rassasié ? Rien ne pourrait décider un Anglais à voter pareille somme pour un tel objet, et l’Angleterre pourrait économiser l’argent au moins dix fois plus vite que la Russie.
« Cependant, on peut craindre que ceux qui gouvernent la Russie soient sages dans leur génération, et que cette dépense d’énergie et de trésor leur assure un résultat qui, à leur point de vue, est un profit acceptable. Le but, l’objet, est de rendre plus profonde l’impression des Russes que la position du Tsar est en quelque sorte surnaturelle, que ses ressources sont illimitées comme l’est sa puissance, qu’il occupe une certaine position spéciale apparentée au divin, que son couronnement est une consécration si solennelle
(P 88) et d’une telle signification pour le genre humain, qu’aucun faste extérieur pour la rendre visible ne peut être excessif, que le genre humain peut être appelé à le contempler sans le dénigrer; que le calme momentané de paix qui a été répandu avec tant de soin à travers le monde septentrional est causé, non par ordre, mais par l’attente d’un événement d’importance. Et les Russes au pouvoir croient que le résultat est atteint, et que l’impression faite par le couronnement égale à travers l’Empire l’impression d’une victoire qui coûterait autant d’argent et beaucoup plus de larmes. Ils répètent le cérémonial à chaque succession au trône avec une splendeur et une grandeur de dessein toujours croissantes, correspondant à la position croissante de la Russie, caractérisée maintenant selon eux, par le funeste affaiblissement du Japon, par la soumission de la Chine, et par la servilité rampante du maître de Constantinople. Ils croient même que le couronnement augmente le prestige de leur maître en Europe, que la grandeur de son Empire, la multitude de ses soldats, la possession dont il dispose de toutes les ressources de la civilisation aussi bien que de toutes celles d’une Puissance barbare, tout cela impressionne bien mieux l’esprit collectif de l’Occident, et augmente l’aversion qui s’y trouve à affronter la grande Puissance du Nord. A Berlin, pensent-ils, ils tremblent davantage à l’idée d’une invasion, à Paris le souvenir de l’Alliance fait davantage exulter les hommes, à Londres, on s’interroge plus longuement alors que ses hommes d’Etat méditent, car ils méditent toujours, sur la manière dont on pourrait la prochaine fois arrêter la marche du glacier ou l’éviter. Quelqu’un peut-il affirmer avec assurance qu’ils ont complètement tort, ou que pour un an la diplomatie russe ne sera pas plus hardie à la- suite de la fête nationale, que la résistance de ceux qui résistent ne sera pas plus timide parce qu’ils ont vu, du moins avec leur vue mentale, une scène qu’on pourrait peut-être, si l’on voulait être bref, mieux décrire comme étant la revue d’un Empire faite à l’intérieur des murailles de sa capitale, ou un défilé de l’Europe septentrionale et de l’Asie en honneur de son commandant en chef ?
« On peut se tromper, mais du moins sommes-nous sûrs que des scènes comme celle qui se déroule à ce couronnement constitue un des périls du monde. Elles doivent tendre à démoraliser le plus puissant de ses hommes. Du Tsar actuel, personne ne sait rien, excepté dit quelqu’un qui a été mis, d’une façon inattendue,
(P 89) en contact étroit avec lui, qu’il est un homme très profondément émotif ; il doit l’être, cependant, davantage que le commun peuple, si lui, un descendant d’Alexandre le’ qui signa le Traité de Tilsit, peut se sentir pendant des jours le centre de cette scène de couronnement, il peut, en fait, être adoré comme s’il régnait à Ninive, sans songer de songes ; les rêves de roi sont habituellement des rêves de domination. Il y a, ainsi le comprenons-nous, une intoxication de rang social comme il y a une intoxication de pouvoir, et l’homme sur qui tous les yeux sont fixés, et devant qui tous les princes semblent petits, doit être en vérité d’un tempérament modéré si, par moments, il ne s’enfle pas avec la conviction qu’il est le premier parmi tous les humains. Les maîtres de la Russie peuvent encore trouver que, si en élevant si haut leurs Tsars, ils ont affermi la loyauté et augmenté l’obéissance, ils ont fait disparaître la puissance de l’empire sur soi, qui est la défense nécessaire de l’esprit (« mind ») ».
Cependant, il est abondamment prouvé que ces maîtres de royaumes prétendus chrétiens sont dans leur ensemble dépourvus de vrais sentiments chrétiens et même de sympathie humaine, par le fait que, tout en gaspillant la richesse (comme on gaspille l’eau) pour soutenir la royauté et sa vaine pompe et son vain étalage, et que des millions de soldats et de marins ainsi qu’un armement des plus prodigieux sont sous leurs ordres, ces gouvernants entendaient sans broncher les cris des pauvres chrétiens arméniens que les Turcs torturaient et tuaient par dizaines de milliers. Evidemment, les merveilleuses armées ne sont pas organisées pour l’amour de l’humanité, mais simplement pour servir les intérêts égoïstes des dirigeants politiques et financiers du monde, c’est-à-dire pour s’emparer de territoires, pour protéger les intérêts des porteurs de bons ou d’obligations, et pour se sauter à la gorge les uns des autres, excités d’une haine sanguinaire, chaque fois qu’une bonne occasion se présente d’agrandir leurs empires ou d’accroître leurs richesses.
En contraste frappant avec cette royale extravagance qui prévaut, dans une certaine mesure, dans tout pays où une famille royale est maintenue, on trouve l’endettement considérable des pays européens.
(P 90)
L’Économiste français a publié un article détaillé écrit par M. René Stourm, sur la dette publique en France. On estime le plus fréquemment à 6 400 000 000 de $ le capital de la dette. Les estimations les plus modérées le réduisent de quelques millions. M. Paul Leroy-Beaulieu le chiffre à 6 343 573 630 $. Le résultat du calcul de M. René Stourra est un total de 5 900 800 000 $ avec, cependant, la restriction qu’il a omis 432 000 000 de $ de rentes viagères que d’autres économistes ont traitées comme faisant partie du capital de la dette. La charge annuelle pour l’intérêt et le -fonds d’amortissement, sur la dette entière, y compris les rentes viagères, s’élève à 258 167 083 $. De la dette consolidée, 2 900 000 000 $ sont de la rente perpétuelle 3 %, 1 357 600 000 $ sont de la rente perpétuelle 4,50 %, et 967 906 200 $ sont des bons amortissables de diverses espèces. Des rentes à diverses compagnies et sociétés pour une valeur de 477 400 000 $, et 200 000 000 $ de dette flottante fournissent la balance du total de M. Stourm. Ceci est de loin la charge la plus lourde qui soit supportée par une nation sur le globe. La dette qui s’en approche le plus est celle de la Russie qui est fixée à 3 605 600 000 $. L’Angleterre vient ensuite avec 3 565 800 000 dollars, puis l’Italie avec 2 226 200 000 $. La dette de l’Autriche est de 1 857 600 000 $, et celle de la Hongrie de 635 600 000 $. L’Espagne doit 1 208 400 000 $, et la Prusse 962 800 000 $. Tels sont les chiffres donnés par Stourm. Aucune de ces nations, sauf l’Angleterre et la Prusse, ne dispose de revenus suffisants pour garantir un équilibre permanent du budget, mais la France est la plus lourdement chargée de toutes, et la croissance de sa dette a été la plus rapide dans le passé récent et la plus menaçante de l’avenir.
« En conclusion, M. Stourm dit : « Nous nous abstenons de rester sur les réflexions affligeantes qu’inspire le résultat de notre travail. Quel que soit l’aspect sous lequel nous considérions ces 29 milliards et demi, que ce soit avec les dettes des autres pays ou avec notre propre dette des dix ou vingt dernières années, ils apparaissent comme un sommet d’une altitude inconnue, surpassant la limite que n’importe quel peuple du monde, à n’importe quelle époque, a supposé inaccessible. La Tour Eiffel sera leur vraie contrepartie ; nous dominons nos voisins et notre propre histoire de la hauteur de notre dette… devant laquelle il est temps que notre pays ressente une frayeur patriotique ».
(P 91)
The London Telegraph a publié un jour le résumé suivant de la perspective financière nationale :
« Le manque d’argent plane comme un nuage sombre et presque universel au-dessus des nations d’Europe. Les, temps sont très mauvais pour les Puissances sans exception, mais plus mauvais encore pour les petites. Il y a. difficilement une nation sur le continent dont le bilan pour l’année écoulée ne présente pas une sombre perspective, tandis que nombre de bilans sont de simples confessions de faillite. Des rapports sérieux sur les conditions des divers Etats révèlent, dans les ministères respectifs des finances, une lutte pour joindre les deux bouts qui n’avait jamais été aussi générale. L’état de choses est en vérité presque mondial, car si nous regardons au-dehors de notre propre continent, les Etats-Unis d’une part, et l’Inde et le Japon avec leurs voisins, d’autre part, ont senti le tenaillement qui prévaut…
« La Grande République est trop vaste et a trop de ressources pour mourir de ses maladies financières, même si elle est très malade. La Grande-Bretagne, aussi, a un déficit à affronter dans le prochain budget, et elle doit supporter des pertes lourdes et peut-être irréparables par l’action insensée de la grève du charbon. La France, comme nous-mêmes et comme l’Amérique, est l’un des pays qu’on ne saurait imaginer insolvable, tant son sol est riche et son peuple laborieux. Cependant, son revenu manifeste de fréquents déficits ; sa dette nationale a pris des proportions stupéfiantes, et le fardeau de son armée et de sa marine écrase presque l’industrie du pays. L’Allemagne également doit être inscrite dans la catégorie des nations trop bien fondées et trop fortes pour souffrir autre chose qu’une éclipse temporaire. Pourtant, durant l’année écoulée on a calculé qu’elle avait perdu 25 000 000 £, ce qui représente environ la moitié de l’épargne nationale. Beaucoup de cette perte provient des investissements allemands dans des fonds au Portugal, en Grèce, en Amérique du Sud, au Mexique, en Italie et en Serbie, en même temps que l’Allemagne a ressenti rudement la confusion dans le marché de l’argent. Le fardeau de sa paix armée pèse d’un poids écrasant sur son peuple. Parmi les Puissances que nous groupons ensemble comme étant naturellement solvables, il est frappant de trouver que l’Autriche-Hongrie a le meilleur et le plus satisfaisant compte rendu financier à donner…
« Lorsque nous nous détournons de ce groupe important et que nous jetons le regard sur l’Italie, nous y trouvons un exemple de « grande Puissance » presque réduite à la mendicité par sa grandeur. Année après année, ses revenus
(P92) baissent et ses dépenses augmentent. Il y a six ans, la valeur du commerce extérieur de l’Italie s’élevait à 2 600 000 000 F ; elle est tombée maintenant à 2 100 000 000. Elle doit payer 30 000 000 £ comme intérêt de sa dette publique, outre une prime pour l’or nécessaire. Ses obligations ne se vendent pas sur le marché ; son émission prodigieuse de billets de banque a élevé l’argent et l’or à des prix arbitraires. Sa population est plongée dans un état de pauvreté et d’impuissance presque inimaginable ici, et lorsque ses nouveaux ministres inventent de nouveaux impôts, des émeutes sanglantes éclatent.
« Quant à la Russie, ses déclarations financières, sont voilées d’un tel mystère que personne ne peut en parler avec confiance ; mais il y a peu de raison de douter que seule l’immensité de l’empire du Tsar l’empêche de faire faillite. La population a été pressurée jusqu’à ce que la dernière goutte de vitalité laborieuse ait été extraite. Le Ministre des Finances le plus téméraire et le plus impitoyable ose rarement donner un autre demi-tour à la vis d’imposition.
« Une autorité, modérée et sérieuse du ‘pays, écrit dans les termes suivants au sujet de la situation en Russie
« Chaque copeck que le paysan réussit à gagner est dépensé, non pas pour mettre ses affaires en ordre, mais pour payer ses arriérés d’impôt. L’argent payé par la population paysanne sous forme d’impôt, s’élève à un montant entre les deux tiers aux trois quarts du revenu du pays, y compris leur propre travail supplémentaire comme ouvriers de ferme. Le bon crédit apparent du gouvernement est soutenu par des moyens artificiels. Des observateurs sérieux s’attendent à une débâcle semblable dans les piliers social et financier de l’empire. Ici, aussi, le poids stupéfiant de la paix armée de l’Europe aide largement à paralyser le commerce et l’agriculture. L’exemple du Portugal n’entre pas dans notre champ d’observation, car bien que le royaume jadis célèbre soit un débiteur, sa position malheureuse n’est certainement pas due à l’ambition militaire ou à des dépenses fébriles. Cependant, la Grèce, bien qu’insignifiante parmi les Puissances, avec sa population de deux millions d’habitants, offre un exemple aveuglant de la ruine à laquelle l’extravagance financière et des desseins démesurés réduisent une nation. La malédiction de la petite Grèce a été sa « grande idée », et récemment, nous l’avons vue amenée à esquiver le poids de sa dette publique par un acte de malhonnêteté absolue qui ne fut restreint en partie qu’en raison
(P 93) des protestations de l’Europe. L’argent qu’elle a gaspillé pour son « Armée et sa Marine » aurait pu aussi bien être jeté à la mer. La politique est devenue pour elle une maladie qui infecte ses meilleurs et ses plus capables hommes publics. Avec un commun peuple trop instruit pour travailler, des étudiants de l’université plus nombreux que des maçons, des dettes publiques et des dettes privées que personne n’a l’intention de payer, un simulacre d’Armée et de Marine qui engloutit les fonds, la malhonnêteté devenue un principe en politique, et des plans secrets qui doivent signifier ou bien plus de prêts ou bien un marché malhonnête et dangereux avec la. Russie, telles sont les caractéristiques de la Grèce contemporaine.
« En considérant donc tout le Continent sans exception, on ne peut nier que l’état de choses touchant le bien-être du peuple et les bilans nationaux est extrêmement peu satisfaisant. Bien entendu, l’une des raisons principales et manifestes en est cette paix armée qui pèse comme un cauchemar sur l’Europe, et a transformé tout le Continent en un camp permanent. Voyez seulement l’Allemagne ! Cet Empire sensé et raisonnable ! Le budget militaire s’y est élevé de 17 500 000 £ en 1880 à 28 500 000 £ en 1893. L’accroissement paru dans la Nouvelle Loi de Défense militaire ajoute 3 000 000 £ par an à la masse colossale de l’armement défensif de l’Allemagne.
« La France a usé ses forces au point même d’en arriver également à un écroulement en voulant être de la force de sa rivale. Il est inutile de dire la terrible part que prennent dans la présente détresse populaire de l’Europe ces assurances de guerre. Non seulement elles soustraient des bénéfices et des salaires les sommes considérables qui servent à acheter de la poudre et des projectiles, et à construire des casernes, mais elles enlèvent à l’industrie dès leur force virile des millions de jeunes travailleurs qui sont également perdus pendant la même période à leurs familles et pour le renforcement des populations. Le monde n’a pas encore inventé une meilleure Chambre de compensation pour les chèques internationaux que l’effrayant et coûteux Temple de la Guerre ».
Pourtant, malgré le lourd endettement et l’embarras financier des nations, des statisticiens capables estiment raisonnablement que les dépenses actuelles de l’Europe pour les divers budgets de l’armée et de la marine, l’entretien des garnisons et la perte de travail industriel ,occasionnée par le retrait d’hommes de l’industrie productive, peuvent s’élever à 1 500 000 000 $
(P 94) par an, sans parler des pertes considérables de vies humaines ; dans les vingt-cinq dernières années du siècle écoulé (de 1855 à 1880) on estime ces pertes à 2 188 000, et ce, dans des conditions horribles qu’on ne peut décrire. M. Charles Dickens a très sincèrement observé que :
« Nous parlons d’un ton de triomphe, et avec une certaine fougue d’« une charge magnifique ! », d’« une charge splendide ! », et pourtant bien peu de gens se font une idée des détails affreux qu’évoquent ces deux mots légers. La « charge splendide » est une charge fougueuse d’hommes montés sur de vigoureux chevaux, poussés à leur plus grande allure, renversant et écrasant des masses d’hommes à pied qui leur sont opposées. L’esprit du lecteur ne va pas plus loin ; satisfait de l’information que la ligne ennemie a été « rompue » et « dispersée », il n’imagine pas les détails. Lorsque la « splendide charge » a accompli son œuvre et s’est éloignée, on croirait se trouver devant le spectacle d’un accident de chemin de fer. Il y a au grand complet des dos brisés en deux, des bras tordus totalement arrachés, des hommes empalés sur leur propre baïonnette, des jambes fracassées comme des morceaux de bois à brûler, des têtes partagées comme des pommes, d’autres têtes broyées en molle gelée par les sabots ferrés des chevaux, des visages piétinés qui n’ont plus rien d’humain. Voilà ce qui se cache derrière une « splendide charge ». Voici ce qui s’ensuit, comme une chose naturelle, lorsque « nos compagnons les chargèrent d’une façon magnifique », et « les mirent en pièces avec furie ».
« Représentez-vous » dit un autre auteur, « les millions de gens qui peinent sur toute l’étendue de l’Europe, se pressant jour après jour à leur travail, travaillant sans cesse depuis la pointe du jour jusqu’à la nuit humide, à cultiver le sol, à produire des tissus, à échanger des marchandises, dans les mines, les usines, les forges, les docks, les ateliers, les magasins ; sur les chemins de fer, les fleuves, les lacs, les océans ; en pénétrant les entrailles de la terre, en dominant la résistance de la matière, en maîtrisant les éléments naturels, et en les faisant servir à la convenance de l’homme et à son bien-être, et en créant par tout cela, une masse de richesses qui pourrait apporter l’abondance et le confort dans chacun de leurs foyers. Et ensuite, imaginez la main du pouvoir arrivant et, chaque année, raflant quelque six cents millions de l’argent si laborieusement gagné pour le mettre dans l’abîme des dépenses militaires ».
(P 95)
Voici, bien au point également, un extrait de Harrisburg Telegram :
« Il en coûte quelque chose aux nations « chrétiennes » d’Europe pour expliquer leur notion de « paix sur la terre et bonne volonté aux hommes ». Autrement dit, il leur en coûte quelque chose de se tenir tous prêts à se volatiliser les uns les autres. Des statistiques publiées à Berlin montrent la somme des dépenses militaires des grandes puissances durant les trois années 1888, 1889, 1890. Voici ces dépenses données en chiffres ronds : France : 1 270 000 000 $ ; Russie : 813 000 000 $ ; Grande-Bretagne : 613 000 000 $ ; Allemagne : 607 000 000 $ ; Autriche-Hongrie : 338 000 000 $ ; Italie : 313 500 000$. Ces six puissances ont dépensé ensemble 3 954 500 000 $ à des fins militaires pour trois années, soit en moyenne 1 318 100 000 $ par an. Le total des trois années excède considérablement la dette nationale de la Grande-Bretagne, et elle est presque suffisante pour payer plus de trois fois les intérêts de la dette des Etats-Unis. La dépense correspondante des Etats-Unis a été d’environ 145 000 000 $ sans compter les pensions. Si nous voulions ajouter ces dernières, notre dépense totale s’élèverait à environ 390 000 000 $ ».
« D’après les estimations de statisticiens français et allemands, 2 500 000 hommes ont péri dans les guerres des trente dernières années, tandis que pas moins de 13 000 000 000 $ ont été dépensés pour mener ces guerres. Le Dr Engel, statisticien allemand, donne les chiffres suivants comme le coût approximatif des principales guerres des trente dernières années : guerre de Crimée : 2 000 000 000 $ ; guerre italienne de 1859 : 300 000 000 $ ; guerre prusso-danoise de 1864 : 35 000 000 $ ; guerre de Sécession (Nord) : 5 100 000 000 $ ; Sud : 2 300 000 000 $ ; guerre prusso-autrichienne de 1866 : 330 600 000 $ ; guerre franco-allemande de 1870 : 2 600 000 000 $ ; guerre russo-turque : 125 000 000 $ ; guerres sud-africaines : 8 770 000 $ ; guerre africaine : 13 250 000 $ ; guerre serbo-bulgare : 176 000 000 $.
« Toutes ces guerres furent meurtrières à l’extrême. La guerre de Crimée, au cours de laquelle peu de combats eurent lieu, coûta la vie à 750 000 hommes, soit 50 000 de moins seulement que le nombre de ceux qui furent tués ou moururent à la suite de leurs blessures au cours de la Guerre de Sécession, Nord et Sud. Les expéditions au Mexique et en Chine coûtèrent 200 000 000 $
(P 96) et 85 000 vies. Il y eut 250 000 tués et mortellement blessés durant la guerre russo-turque, et 45 000 dans la guerre italienne de 1859 et autant dans la guerre entre la Prusse et l’Autriche ».
Dans une lettre adressée à Passy, Député de Paris, feu Hon. John Bright, membre du Parlement britannique, déclarait :
« A présent, toutes les ressources de l’Europe sont englouties Par les exigences militaires. Les intérêts du peuple sont sacrifiés aux fantaisies les plus misérables et les plus coupables de la politique étrangère. Les vrais intérêts des masses sont foulés aux pieds par déférence aux fausses notions de gloire et d’honneur national. Je ne peux m’empêcher de penser que l’Europe est en marche vers quelque grande catastrophe d’un poids écrasant. Le système militaire ne peut pas être indéfiniment supporté avec patience, et il est possible que les populations, conduites au désespoir, puissent avant longtemps balayer les royautés et les prétendus hommes d’état qui gouvernent en leur nom ».
Ainsi le jugement des pouvoirs civils leur est-il contraire. Non seulement la presse s’exprime de cette manière tout haut, mais partout les gens parlent et protestent bruyamment contre les pouvoirs en place. L’agitation est universelle et devient de plus en Drus dangereuse chaque année.
LE MONDE ACCUSE AUSSI L’ORGANISATION SOCIALE ACTUELLE
L’organisation sociale actuelle de la chrétienté est aussi soumise à un jugement : son système monétaire, ses institutions et plans financiers, et, naissant de tout cela, sa politique égoïste des affaires et ses distinctions sociales basées essentiellement sur la fortune avec tout ce que cela implique d’injustice et de souffrance pour les masses ; toutes ces choses sont, dans le jugement actuel, aussi sévèrement traitées que les organisations civiles. Constatez les discussions interminables sur la question de l’argent, et sur l’étalon-or, et les débats sans fin entre le travail et le capital. Comme des vagues de la mer s’agitant sous un vent qui se lève, écoutez les murmures concertés de voix innombrables contre
(P 98) l’organisation sociale actuelle, particulièrement dans la mesure où on la voit en contradiction avec le code moral contenu dans la Bible que la chrétienté, en général, prétend reconnaître et suivre.
Un fait vraiment digne d’être noté, c’est que dans le jugement de la chrétienté, même le monde en général se base sur la Parole de Dieu. Les païens brandissent la Bible et déclarent hardiment : « Vous n’êtes pas aussi bons que votre livre ». Ils montrent, son Christ béni et disent : « Vous ne suivez pas votre modèle ». Et, à la fois les païens et les masses de la chrétienté se basent sur la règle d’or et la loi d’amour pour reconnaître la valeur des doctrines, des institutions, de la politique et de la manière générale d’agir de la chrétienté, et toutes ensemble rendent témoignage à la véracité des mots étranges tracés sur la muraille de la salle de festin : « Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé léger ».
Le témoignage du monde contre l’organisation sociale actuelle s’entend partout dans tous les pays. Tous les hommes déclarent qu’elle a fait faillite ; l’opposition devient de plus en plus active, et répand l’alarme sur le monde entier, « ébranlant terriblement » toute confiance dans les institutions existantes, et à tout bout de champ paralysant l’industrie par des paniques, des grèves, etc. Il n’y a aucune nation parmi la chrétienté dans laquelle l’opposition à l’organisation sociale actuelle ne soit marquée, opiniâtre et de plus en plus menaçante.
- Carlyle déclare :
« L’existence industrielle britannique semble devenir rapidement une prison-marécage immense d’exhalaison pestilentielle, physiquement et moralement, un Golgotha vivant horrible d’âmes et de corps enterrés vivants. Trente mille couturières se tuent rapidement au travail. Trois millions de pauvres croupissent dans une oisiveté forcée, aidant lesdites couturières à mourir. Ce ne sont là que des détails dans le registre où s’inscrit le triste débit du désespoir ».
D’un autre journal appelé The Young man, nous extrayons l’article suivant intitulé « Le monde s’améliore-t-il ? » :
(P 98)
« Des hommes vigoureux, avides d’obtenir un labeur honnête, sont en train de supporter les souffrances de la faim et de l’abandon, et dans de nombreux cas, le chagrin supplémentaire de se rendre compte des souffrances de leur famille. D’autre part, l’extrême richesse s’unit souvent à l’avarice et à l’immoralité, et pendant que les pauvres meurent lentement de faim, les riches, eux, ignorent dans une grande mesure, les besoins de leurs frères, et désirent seulement que Lazare n’accède pas mal à propos à une situation en vue. Des milliers de jeunes gens sont forcés de travailler comme des esclaves dans des boutiques mal aérées et dans des magasins tristes pendant soixante-dix ou quatre-vingts heures par semaine, sans jamais un arrêt de récréation physique ou mentale. Dans les quartiers populaires de Londres, des femmes cousent des chemises ou fabriquent des boîtes à allumettes toute la journée pour un salaire qui ne suffit pas à louer un lit — encore moins pour une chambre séparée — et elles sont souvent obligées de choisir entre l’inanition et le vice. Dans les quartiers aristocratiques de Londres, des artères entières sont le domaine des sirènes fardées et maquillées de la sensualité et du péché — chacune étant un blâme permanent à la faiblesse et à la perversité de l’homme. Quant aux jeunes gens, des milliers risquent la prison par le jeu ou la mort prématurée par la boisson, et pourtant chaque journal respectable est rempli de longs rapports de courses de chevaux, et le gouvernement chrétien (?) permet l’installation d’une maison publique à chaque coin de rue. Le péché est rendu facile, le vice à bon marché, la tromperie prévaut dans le commerce, l’acharnement dans la politique et l’apathie dans la religion ».
Il y a quelque temps, The Philadelphie Press publiait ce qui suit :
« Gare au danger ! Il n’y a aucun doute que New York est divisée en deux grandes classes, celle des très riches et celle des très pauvres. Les classes moyennes composées de gens honorables, travailleurs, de commerce aimable, disparaissent graduellement, soit qu’elles montent à l’échelle des richesses du monde ou qu’elles descendent dans la pauvreté et l’embarras. Il paraît certain qu’entre ces classes existe et grandit rapidement, sous l’encouragement intentionnel de méchants hommes, une haine marquée, manifeste, malveillante. Il y a ici des hommes dont vous ne savez rien qui possèdent 10 000 000 $ et 20 000 000 $. Je connais une dame, vivant dans une magnifique demeure, dont la vie est aussi calme que devrait l’être celle d’un ministre, qui n’a pas dépensé en cinq années, moins de 3 000 000 $, dont les donations
(P 99) avant sa mort n’atteindront pas moins de 7 000 000 $, qui possède chez elle des tableaux, des statues, des diamants, des pierres précieuses, de ravissants échantillons d’or et d’argent, ainsi que des œuvres précieuses de tous les arts imaginables, estimées à 1 500 000 $, et il lui manque plusieurs millions de dollars pour être aussi riche que nombre de ses voisins. Il y a ici des hommes qui, il y a vingt ans, vendaient des vêtements dans la rue de Chatham et qui, aujourd’hui, vivent en dépensant 100 000 $ par an, et qui portent des bijoux coûtant 25 000 $ dans des magasins aux prix raisonnables.
« Venez avec moi n’importe quel jour, par temps de pluie ou de soleil, dans un « car » de l’avenue Medison, entre dix heures et dix-sept ou dix-huit heures ; je vous ferai trouver l’un après l’autre des « cars » bondés de dames dont les oreilles portent des diamants estimés chacun entre 500 et 5 000 $, sur leurs mains dégantées, rouges et duveteuses, brillent des fortunes. Promenez-vous avec moi depuis le vieux magasin de Stewart, au coin de la Neuvième rue et Broadway, jusqu’à la Treizième rue et Broadway, n’importe quel jour. Je ne veux pas dire les dimanches, les jours de congé, ou à des occasions spéciales, mais tout le temps, et je vous montrerai, pâté de maisons par pâté de maisons, des femmes vêtues de longs manteaux de fourrure de phoque, riches de 500 à 1 000 $ chacune, portant des boucles d’oreilles et des bagues en diamant, aussi bien qu’avec d’autres pierres précieuses, tenant à la main un élégant portefeuille bourré d’argent. Elles représentent les nouveaux riches dont New York est rempli.
Dans- cette même rue, au même moment, je peux vous montrer des hommes pour qui un dollar serait une fortune, et dont les pantalons, arrachés et déshonorants dans leurs lambeaux, sont maintenus à leur taille amaigrie par des cordes, des ficelles ou des épingles, dont les pieds sans bas traînent sur le trottoir dans des souliers si éculés qu’ils n’osent pas les soulever du sol, dont, les visages sont tachés de rousseur, dont les barbes sont longues et hirsutes, comme l’est leur chevelure, tandis que leurs mains rougissantes s’effilent aux ongles comme des griffes. Combien de temps s’écoulera avant que ces griffes ne s’accrochent aux riches ? Ne vous trompez pas à ce sujet, le sentiment est né, le sentiment s’accroît, et le sentiment, tôt ou tard, éclatera.
Pas plus tard qu’hier soir, j’arpentais la Quatorzième rue, où ne restent que quelques résidences, et en face de l’une d’elles, une voûte de verdure mène de la porte au trottoir ; sous cette voûte, des dames vêtues de façon charmante, accompagnées de leur escorte, s’engagèrent en sortant de leurs voitures, et se dirigèrent vers la porte ouverte, par laquelle sortirent des flots de lumière et de sons. Je me tins
(P 100) un moment avec la foule, une grande foule, et là vint cette idée d’une révolte inévitable à moins que quelque chose soit fait, et rapidement fait, pour dissiper le préjugé défavorable qui non seulement existe, mais est entretenu intentionnellement contre les très riches par les très pauvres. Vous auriez frémi d’entendre de quelle façon les femmes parlaient. L’envie, la jalousie, la férocité haineuse, tous les éléments nécessaires s’y trouvaient. Il ne manquait plus qu’un chef ».
Le monde offre le contraste des épouvantables conditions du système d’exploitation de l’esclavage humain et des misères de l’immense armée de chômeurs, et d’une autre immense armée de travailleurs mal payés, avec le luxe et la prodigalité d’une immense richesse ; il y a quelque temps un journal londonien le décrivait ainsi
« Le modeste foyer d’un millionnaire : « Nous apprenons de New York que M. Cornélius Vanderbilt, le millionnaire de New York et roi des chemins de fer, vient juste d’inaugurer son nouveau palais par un grand bal. Cette modeste maison qui doit abriter environ dix personnes pendant six mois de l’année, et rester fermée pendant les six autres mois, se tient au coin de la Cinquante-septième rue et de la Cinquième Avenue et elle a coûté à son propriétaire 1 000 000 £. A l’extérieur, elle est de style espagnol, bâtie de pierre grise, avec des revêtements, des tourelles et des créneaux rouges. Elle est haute de trois étages avec une mansarde imposante. La salle de danse est la salle de danse privée la plus spacieuse de New York, de 75 pieds de long sur 50 de large [23 m environ sur 15,24 m] , décorée de blanc et d’or dans le style Louis XIV. Le plafond coûte une fortune, et a la forme d’un double cône, peint de nymphes et d’amours. Autour de la corniche se trouvent des fleurs finement modelées et portant chacune une lumière électrique, tandis qu’un immense lustre en cristal pend du centre du plafond. Le soir du bal d’ouverture, les murs étaient couverts de fleurs naturelles depuis le parquet jusqu’au plafond, au prix de 1 000 £, et l’on dit que la réception a coûté à l’hôte 5 000 £. Attenant à cet hôtel particulier s’étend le jardin le plus coûteux du monde eu égard à ses dimensions, car bien qu’il n’ait seulement que l’étendue d’une portion ordinaire de terrain, il a coûté la somme de 70 000 £, et pour faire place à quelques parterres de fleurs, on dut abattre une maison qui avait coûté 25 000 £ ».
(P 101)
Un journal de San-Francisco, Industry, a publié le commentaire suivant sur la prodigalité de deux hommes riches de ce pays :
« Le dîner de Wanamaker, à Paris, et celui de Vanderbilt, à New York, qui ont coûté ensemble au moins 40 000 $, et peut-être beaucoup plus, sont parmi les signes des temps. De telles choses présagent un changement dans ce pays. Cela, qui n’est qu’un exemple entre cent autres cas de même étalage ostentatoire d’argent, peut être comparé à propos à un festin de Rome avant sa chute, et au luxe qui, en France, il y a un siècle, fut le précurseur de la révolution. L’argent dépensé à l’étranger chaque année par les Américains, en grande partie pour le luxe et pour pire encore, est estimé au tiers de notre revenu national ».
De Ward Mc Allister, qui fut un dirigeant célèbre de la société de New York, nous relevons le renseignement très intéressant suivant, cité dans National View :
« Les dépenses annuelles moyennes pour l’existence d’une famille de respectabilité ordinaire, comprenant le mari, la femme et trois enfants, s’élèvent à 146 945 $, se décomposant ainsi : loyer d’une maison urbaine : 29 000 $ ; d’une maison de campagne : 14 000 $ ; dépenses pour la maison de campagne : 6 000 $ ; gages des gens de maison : 8 016 $ ; dépenses du ménage, y compris les gages de la servante : 18 954 $ ; toilette de madame : 10 000 $ ; toilette de monsieur : 2 000 $ ; toilette des enfants et leur argent de poche : 4 500 $ ; dépenses scolaires pour les trois enfants : 3 600 $ ; divertissements en donnant des bals et des soirées dansantes : ‘7 000 $ ; dîners de réception : 6 600 $ ; loge de théâtre : 4 500 $ ; théâtre et soupers après le théâtre : 1 200 $ ; journaux et revues : 100 $ ; compte-courant du joaillier : 1 000 $ ; papeterie : 300 $ ; livres : 500 $ ; cadeaux de mariage et cadeaux de fêtes : 1 400 $ ; sièges à l’église : 300 $ ; cotisations au club : 425 $ ; honoraires du docteur : 800 $ ; du dentiste : 500 $ ; transport de la famille à la campagne et retour : 250 $ ; voyage en Europe : 9 000 $ ; dépenses pour les écuries : 17 000 $ ».
On rapporte ce qu’aurait dit Chauncey M. Depew :
Il existe aux Etats-Unis cinquante hommes qui, en raison de la fortune qu’ils possèdent, peuvent se réunir et s’entendre dans les vingt-quatre heures
(P 102) pour paralyser les transports et le commerce, bloquer les branches du négoce et réduire au silence tous les moyens de transmission: Ces cinquante personnages ont la haute main sur la monnaie et peuvent déclencher une panique quand ils le veulent ».
LE MONDE JUGE LES PUISSANCES ECCLÉSIASTIQUES
Le monde critique aussi sévèrement les puissances ecclésiastiques que les puissances monarchiques et aristocratiques, car il est reconnu qu’elles sont unies, ayant les mêmes intérêts. Ce qui suit le prouvera :
Il y a quelques années, le North American Review publiait un bref article “de John Edgerton Raymond sur « Le déclin des puissances ecclésiastiques ». Décrivant les forces qui sont opposées à l’église, et qui, un jour, la renverseront, l’auteur déclarait :
L’église chrétienne est au sein d’un grand conflit. Jamais depuis l’organisation du christianisme, il n’y eut autant de forces liguées contre elle. Ce que certains théologiens se plaisent à nommer la « puissance du monde » n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Ce ne sont plus des races barbares, des philosophes superstitieux, des prêtres de religions mythiques qui s’opposent à l’église, mais les personnes de la plus haute culture, les plus grands savants et les sages les plus profonds parmi les nations éclairées. Sur toute la ligne de son avance, elle rencontre la résistance de la « puissance du monde » qui représente le savoir le plus élevé et les meilleurs idéaux de l’intelligence humaine.
« Tous ses adversaires ne se trouvent pas non plus en dehors d’elle. Derrière ses draperies somptueuses, revêtus de ses vêtements, proclamant ses commandements, la représentant devant le monde, nombreux sont ceux qui se tiennent prêts à rejeter son autorité et à contester sa suprématie. Un grand nombre de ceux qui obéissent encore à ses décrets commencent à douter, et le doute est le premier pas vers la désobéissance et la désertion. Le monde ne saura jamais combien d’âmes honnêtes au sein de l’église gémissent en esprit et sont troublées, tout en gardant un sceau sur leurs lèvres et une chaîne sur leur langue « par acquit de conscience », afin de « ne pas offenser leurs frères ». Elles gardent le silence, non par crainte de
(P 103) réprimande, car le temps est passé où parler librement amenait la persécution, et où suggérer que l’église n’était pas infaillible vous faisait accuser d’incrédulité ».
Il dit que l’on ne demande pas un nouvel évangile, mais un vieil évangile ayant une nouvelle signification :
« Partout l’on demande qu’une proclamation plus littérale et plus fidèle soit faite des préceptes du fondateur du Christianisme. « Le Sermon sur la montagne » est pour beaucoup l’abrégé de la philosophie divine. « Prêchez-le ! Prêchez-le ! » s’écrient partout les réformateurs de toutes les écoles ; « non seulement, prêchez-le, mais mettez-le en pratique ! » « Montrez-nous, disent-ils, que vos actes sont conformes à ces préceptes, et nous vous croirons ! Suivez Christ et nous vous suivrons ! ».
« Mais c’est bien ici que se trouve la controverse. L’église prétend enseigner les préceptes de Christ, prêcher son évangile. Le monde écoute, et réplique : « Vous avez perverti la vérité ! ». Et voyez le spectacle d’un monde incroyant enseignant à une église croyante les vrais principes de sa religion à elle ! C’est là un des signes de l’époque les plus frappants et les plus significatifs ! Et ceci est tout à fait nouveau. Dès le commencement, le monde s’est familiarisé avec la riposte : « Docteur, guéris-toi toi-même ». Mais ce n’est que dans les temps modernes que les hommes ont osé dire : « Docteur, laisse-nous prescrire le remède ! ».
« Lorsque les pauvres et les nécessiteux, les opprimés et les affligés à qui l’on enseigne d’attendre une future récompense au ciel, ont vu de saints prêtres et des princes honorés vêtus de pourpre et de fin lin et vivant chaque jour somptueusement, lorsqu’ils les virent amasser des trésors sur terre au mépris de la teigne, de la rouille et des voleurs, lorsqu’ils les virent servir, leur conscience tranquille, Dieu et Mammon, ils commencèrent à douter de leur sincérité.
« Dès lors, ils commencèrent à affirmer que toute la vérité n’habite pas sous un clocher d’église, que l’église est impuissante, qu’elle ne peut empêcher le malheur, guérir les malades, rassasier ceux qui ont faim et vêtir ceux qui sont nus, qu’elle ne peut ressusciter les morts, ni sauver l’âme. Alors, ils commencèrent à dire qu’une église aussi faible, aussi mondaine, ne pouvait être une organisation divine. Et bientôt, ils commencèrent à déserter ses autels. Ils déclarèrent « Nier l’infaillibilité de l’église, l’efficacité de ses rites, ou la vérité de ses credo,
(P 104) n’est pas nier l’efficacité de la religion. Nous ne sommes pas en guerre avec le Christianisme, mais avec la représentation qu’en fait l’église. La révérence pour la vérité divine est compatible avec le mépris le plus profond pour le ecclésiastique. Pour la Personne sublime qui a foulé la terre, dont le contact donnait la vie et dont le sourire était salut, nous n’avons que vénération et amour, mais non plus désormais pour l’organisation qui prétend le représenter.
« L’église dénonce ses accusateurs comme étant des incroyants, et elle va son chemin amassant des trésors, construisant des temples et des palais, faisant cause commune avec des rois et des alliances avec des puissants, tandis que les forces qui se coalisent contre elle, augmentent en nombre et en puissance. Elle a perdu sa suprématie, son autorité a disparu. Elle n’est plus qu’un symbole, une ombre, et il lui est impossible de regagner son ascendant perdu ou de remonter sur son trône. Ses rêves de domination universelle sont une illusion. Son sceptre a été brisé à toujours. Nous sommes déjà dans une période transitoire. Le mouvement révolutionnaire de l’époque est universel et irrésistible. Les trônes commencent à chanceler. Un volcan couve sous les palais des rois, et lorsque les trônes dégringoleront, les chaires tomberont.
« Il y a eu, dans le passé, des réveils religieux, plus ou moins locaux et temporaires. Il doit encore y avoir un réveil religieux qui sera mondial, un rétablissement de la foi en Dieu et de l’amour envers l’homme ; alors seront réalisés les rêves les plus radieux de fraternité universelle. Mais ce réveil arrivera malgré l’église plutôt que par elle. Il viendra comme une réaction contre la tyrannie ecclésiastique, comme une protestation contre ce qui n’est que formalisme et simples cérémonies ».
Dans un article de The Forum, d’octobre 1890, sur les « Problèmes sociaux et l’Eglise » par l’Évêque Huntington, nous lisons son commentaire à propos d’un fait très remarquable et très significatif :
« Lorsqu’un auditoire, immense et varié, dans l’une des salles publiques de New York, acclama le nom de Jésus-Christ et hua le nom de l’église, cela ne régla aucune question, ne résolut aucun problème, ne prouva aucune proposition, n’expliqua aucun, passage biblique, mais ce fut aussi significatif que la moitié « les sermons qui sont prêchés ». Il se rapporta ensuite au fait qu’il fut un temps où
(P 105) les gens écoutaient les mots « Christ et l’église » dans un silence recueilli sinon avec une dévotion enthousiaste, puis il remarqua : « Ce n’est que dans ces derniers jours où les travailleurs pensent, lisent, raisonnent et réfléchissent, qu’une foule mêlée met les deux noms à part d’une manière violente plutôt qu’irrespectueuse, honorant l’un et repoussant l’autre ».
On trouve dans la presse d’autres expressions significatives du jugement populaire :
« La Catholique Review et quelques autres journaux insistent pour qu’il y ait « l’instruction religieuse dans les prisons ». C’est bien. Nous allons plus loin que cela. L’instruction religieuse devrait être donnée aussi ailleurs que dans les prisons, dans les foyers par exemple, et dans les Ecoles du dimanche. Oui, nous ne voulons pas être dépassés en libéralité, nous sommes favorables à l’instruction religieuse dans certaines églises. Vous ne sauriez avoir trop d’une bonne chose, si vous la prenez avec modération ».
« L’aumônier d’un certain pénitencier déclarait qu’il y a vingt ans, cinq pour cent seulement des prisonniers avaient été autrefois des élèves d’écoles du dimanche, mais que maintenant, la proportion était de soixante-quinze pour cent des criminels réels ou suspectés d’être tels. Un certain pasteur mentionne également un asile d’ivrognes où le pourcentage est de quatre-vingt pour cent, et un autre de femmes déchues où toutes ont fréquenté des écoles du dimanche. Le commentaire de la presse sur ces faits était que le terme qu’on appliquait autrefois à l’école d’être « la pépinière de l’église » est en passe d’être une terrible satire. Que va-t-on faire ? ».
Des discussions qui eurent lieu, à propos de l’ouverture, les dimanches, de l’exposition colombienne du Monde, à Chicago, on a extrait ce qui suit :
« Un reste de consolation : si le pire arrive à son point culminant, et que des foires, comme des théâtres et des bars, sont ouverts le dimanche à Chicago, il est très réconfortant de penser qu’aucun citoyen américain n’est obligé d’y aller. A cet égard, personne n’est plus désavantagé que ne le furent les apôtres et les premiers chrétiens. On ne leur permit pas de se servir d’un policier ou des légions romaines dans le but de propager leurs opinions et d’obliger leur prochain d’être plus pieux qu’il ne désirait l’être. Et pourtant ce fut cette église primitive qui, sans l’aide de l’Etat — bien plus, ce fut un
(P 106) christianisme persécuté et dans la souffrance — qui conquit réellement le monde ».
Dans l’agitation générale des temps actuels, beaucoup dans l’église aussi bien que dans le monde, sont grandement perplexes et désorientés par la grande confusion. Les sentiments de ces gens-là furent clairement rapportés il y a quelque temps dans The New York Sun :
La question : « Où en sommes-nous ? », « Où en sommes-nous y » devient une question religieuse significative. Dans les séminaires, des professeurs enseignent de leur chaire, des doctrines assez éloignées de celles qui furent enseignées à l’origine, pour faire retourner dans leur tombe les bienfaiteurs de jadis ; des ecclésiastiques signent des engagements sur l’ordination, auxquels l’administrateur lui-même ne croit pas — et ils le savent probablement. Les règlements établis, dans de nombreux cas, sont seulement les bouées qui montrent combien les navires des églises se sont éloignés des canaux indiqués sur les cartes. C’est l’époque du « laisser-aller », du « chacun pour soi », etc. Personne ne sait où tout cela finira, et ceux qui y sont les plus intéressés, semblent s’en soucier le moins ».
Non seulement la conduite et l’influence des églises sont ainsi sévèrement critiquées, mais le sont également leurs doctrines les plus importantes. Notez, par exemple, comment la doctrine blasphématoire du tourment éternel pour la grande majorité de notre race par laquelle les hommes ont été longtemps maintenus par la crainte, est rejetée d’une manière semblable par le public réfléchi. Sur ce sujet, le clergé commence à voir la très urgente nécessité de l’appuyer comme jamais auparavant, afin de contrecarrer les sentiments croissants de libéralisme.
Il y a quelque temps, le Rév. Dr Henson, de Chicago, discutait au grand jour ses opinions sur ce sujet ; alors que des reporters interviewaient d’autres membres du clergé à ce propos, la manière cavalière, cruelle, railleuse de ces derniers de traiter un sujet sur lequel il est évident qu’ils ne connaissent rien, mais qui, selon eux, engage les intérêts éternels de millions de leurs compagnons humains, était vraiment digne de l’esprit de persécution du Romanisme.
(P 107)
Le Rév. Dr Henson déclara : « Le hadès de la Nouvelle Version n’est que le déguisement de l’enfer ; la mort est la mort bien que nous l’appelions sommeil, et l’enfer est l’enfer bien que nous l’appelions hadès ; l’enfer est une réalité, et « infernalement » horrible. Dans l’enfer, nous aurons des corps… La résurrection du corps implique un lieu et implique un tourment physique. Mais le tourment physique n’est pas le pire. La peine mentale, le remords, l’anticipation qui font l’âme se tordre de souffrance comme le ver se tord de souffrance sur des charbons ardents sont des tourments bien pires, et c’est ce qu’auront à souffrir les pécheurs. La soif sans eau pour se désaltérer ; la faim sans nourriture pour se rassasier ; un couteau enfoncé dans le cœur, mais pour y être retourné sans fin, épouvantable. Tel est l’enfer que nous devons endurer. La mort offre un soulagement du moulin disciplinaire de la vie, mais dans l’enfer, il n’y a aucun secours ».
Quelle impression fit le sermon du « Docteur » ? Quelqu’un peut en juger d’après les interviews suivantes des reporters et des ministres qui parurent le lendemain matin :
« Que pensez-vous de l’enfer, et sommes-nous tous destinés à être baptisés dans un étang de soufre fondu et de gueuse de fer si nous n’amendons pas nos voies ? » dit un reporter au Professeur Swing, l’un des célèbres prédicateurs de Chicago. Ce fut alors que le Professeur Swing partit d’un grand éclat de rire jusqu’à ce que ses joues ridées devinssent aussi roses que celles d’une écolière. L’éminent prédicateur battit une retraite de tambour Sur le rebord d’une table ornée de marqueterie, et le verre de sa petite lampe de bureau se mit à vibrer et sembla rire aussi. « En premier lieu », dit-il, « je suppose que vous vous rendez compte que ce sujet de l’enfer et d’un châtiment futur est quelque chose que nous connaissons réellement très peu. Eh bien ! ma méthode pour mettre en accord chaque chose dans la Bible est de lui donner un sens spirituel. Mon idée est que le châtiment sera classé selon les péchés, mais comme l’autre monde doit être spirituel, de même les récompenses et les châtiments doivent être spiritualisés ».
« Le Rév. M.V.B. Van Ausdale se mit à rire quand il lut un rapport du sermon du Dr Henson, et dit : « Eh bien ! il doit avoir raison. Je connais le Dr Henson depuis pas mal de temps, et je voterais en sa faveur les yeux fermés. Tous, nous admettons qu’il y a un enfer ou un lieu de rétribution, et il réunit toutes les propriétés que lui assigne le Dr Henson ».
« Le Dr Ray avait lu le sermon et pensait que le
(P 108) Dr Henson exprimait les mêmes vues que lui-même aurait exprimées sur le sujet.
« Les ministres congrégationalistes, réunis au Grand Pacific, en session régulière, toutes portes closes et bien gardées, admirent un reporter d’Evening News, lequel, après que la réunion fut terminée, posa la question : « Avez-vous lu le sermon prêché hier soir par le Dr P.S. Henson sur l’enfer, ou en avez-vous entendu parler ? ».
« Un spectateur intéressé pendant la réunion fut le Dr H.D. Porter, de Pékin (Chine). Il s’était levé tôt ce matin, et avait lu dans les journaux le résumé du sermon du Dr Henson. Il déclara : « Je ne connais pas le Dr Henson, mais je pense que les sentiments qu’on lui prête sont tout à fait justes. Là-bas, en Chine, je ne prêcherai pas l’étang de feu ni une vraie torture physique, pas plus que je ne dirai que l’enfer est un lieu où toutes les souffrances véritables feront place à des souffrances mentales intenses et à une angoisse de l’esprit seulement, mais j’adopterai l’opinion à mi-chemin, c’est-à-dire celle qui décrit l’enfer comme étant un lieu de rétribution, combinant les souffrances physiques et mentales et incorporant les principes généralement acceptés par les ministres modernes ».
« Un autre étranger, le Rév. Spencer Bonnell, de Cleveland (Ohio), fut d’accord avec le Dr Henson sur tous les points. « Le temps vient », déclara-t-il, « où l’on devrait avancer quelque idée universelle de l’enfer, afin d’amener tous les esprits dans un état d’équilibre ». Le Rév. H.S. Wilson avait peu de choses à dire, mais il admit qu’il était d’accord avec le Dr Henson. Le Rév. W.A. Moore exprima les mêmes sentiments.
« Le Rév. W. Holmes écrivit : « Le Dr Henson est un brillant prédicateur qui comprend bien ses propres positions et sait les exprimer clairement et d’une manière significative. Ce résumé montre qu’il a donné au peuple, comme d’habitude, un sermon très intéressant. Ses positions qu’on y trouve ont été d’une manière générale bien acceptées. Concernant le corps de chair, je ne sais pas.
– Vous ne savez pas ?
– Non. Un individu doit descendre dans la mort et ainsi s’informer personnellement pour être certain.
« Les ministres baptistes pensent que le sermon orthodoxe du Dr Henson sur l’enfer était parfaitement au point, et ceux qui en discutèrent à la réunion du matin le louèrent chaudement. Un reporter d’Evening News montra le rapport du sermon à une douzaine de ministres, mais tandis que tous déclarèrent’ être d’accord avec le sermon, on en trouva quatre seulement qui voulaient en discuter sous certaines conditions. Le Rév. C.T. Everett, éditeur
(P 109) du Sunday-School Herald, déclara que les vues exprimées par le Dr Henson étaient en général celles tenues par les ministres baptistes. « Nous enseignons le châtiment éternel et futur pour les péchés de ce monde », dit-il, « mais quant à l’enfer réel de feu et de soufre, c’est là une chose sur laquelle on ne s’étend pas beaucoup. Nous croyons au châtiment et savons qu’il est très sévère, mais un très grand nombre d’entre nous se rend compte qu’il est impossible de savoir de quelle manière il est administré. Comme le dit le Dr Henson, il n’y a que des gens stupides pour penser que l’enfer implique complètement un châtiment physique ; la peine mentale est la pire, et ces pauvres pécheurs auront à souffrir ». Le Dr Perrin déclara avec force que c’était presque inutile de nier que tout ce que le Dr Henson prêche, on le trouverait dans la Bible et parfaitement juste.
« Le Rév. M. Ambroise, un ministre de l’ancienne mode, était grandement satisfait de ce sermon. Il croyait chaque mot de ce qu’avait dit le Dr Henson à propbs du tourment futur des pauvres pécheurs. « L’enfer est ce en quoi la plupart des prédicateurs croient », déclara-t-il, « et ils le prêchent aussi ».
« Le Rév. M. Wolfenden dit qu’il n’avait pas vu le rapport du sermon, mais que s’il y avait dans ce sermon quelque chose au sujet d’un enfer de châtiment futur, il était d’accord avec le Docteur, et il pensait que la plupart des ministres baptistes soutenaient les mêmes vues, bien qu’il y en eût quelques-uns qui ne crussent pas à un enfer dans le sens orthodoxe.
« D’après ce que le reporter a recueilli, il est raisonnable de dire que si la question devait venir en discussion, les ministres baptistes ne seraient pas du tout les derniers à soutenir chacun des arguments en faveur du réel, démodé et orthodoxe enfer du Dr Henson ».
Ainsi le clergé exprime-t-il ses vues, comme si la torture éternelle de leurs compagnons humains était un sujet de banale conséquence, qu’on peut discuter en plaisantant avec légèreté et des rires, et proclamer comme une vérité sans la moindre preuve ou examen de la Bible. Le monde remarque cette arrogance présomptueuse,
(P 110) et tire ses propres conclusions dans l’affaire.
Le Globe Democrat dit : « De New York parvient la bonne nouvelle que la Société américaine de traités propose de retirer la niaiserie qu’elle a offerte ces cinquante dernières années, et de réviser complètement le sens de ses obligations. Le fait est que le monde a rejeté les plats spirituels chauffés à blanc et poivrés qui convenaient à la dernière génération, et il est bien hors de la possibilité d’un très petit nombre de graves messieurs de produire une réaction. Les églises aussi vont d’un pas léger avec le reste du monde, prêchant la tolérance ou l’indulgence, l’humanité, le pardon, la charité et la miséricorde. Il est possible que tout cela soit faux, et que ces prophéties d’un genre très sombre et très menaçant soient précisément la chose convenable que nous devrions continuer à croire et à lire, mais alors le peuple ne le fait pas et n’en veut pas ».
Un autre journal déclare :
« En s’opposant à l’envoi de contributions au Bureau américain des missions à l’étranger, le Dr Rossiter W. Raymond, a déclaré assez énergiquement : « J’en ai assez et je suis fatigué d’aller vers le Bureau américain en souffrance pour l’aider à soutenir des missionnaires qui croient absolument en la damnation de tous les païens et en cette odieuse hérésie que Dieu n’aime pas les païens. J’en ai assez de toute cette mystification, et je ne donnerai pas un « cent » pour répandre la nouvelle de la damnation. Je ne laisserai pas se répandre cette doctrine par mon argent. Que Dieu est amour, voilà une bonne nouvelle, mais ces hommes en font des sornettes en traînant sur les païens un char de Juggernaut et en voulant que nous nourrissions les bêtes qui le tirent. Il est de mon devoir de chrétien de ne rien donner à quiconque veut enseigner aux païens que leurs ancêtres sont allés à l’enfer ».
Nous voyons ainsi que le présent ordre des choses tremble dans la balance de l’opinion publique. Le temps marqué pour son renversement étant arrivé, le grand Juge de toute la terre relève les plateaux de la raison humaine, signale les poids de la vérité et de la justice, et déclenchant la lumière de la connaissance croissante, invite le monde à mettre à l’épreuve et à faire la preuve que sa décision est juste de condamner à la destruction l’hypocrite moquerie des fausses prétentions de la chrétienté. Graduellement, mais rapidement, le monde est en train d’appliquer le test, et à la fin, tous arriveront à la même décision ; aussi, comme une
(P 111) grande meule de pierre, Babylone, la grande ville de la confusion, avec toute sa puissance civile et ecclésiastique dont elle se vante, et avec toute sa prétendue dignité, sa richesse, ses titres, son influence, ses honneurs, et toute sa vaine gloire, sera jetée dans la mer (la mer agitée des peuples ingouvernables) pour ne plus se relever. — Apoc. 18 : 21 ; Jér. 51 : 61-64.
Sa destruction sera pleinement accomplie vers la fin des « Temps des Gentils » fixés — 1915 (L’auteur présente une éviction plus progressive des nations et l’établissement du Royaume dans l’Avant-propos de l’auteur (1916), Le temps est proche). Les événements font de rapides progrès vers une telle crise finale. Bien que la mise à l’épreuve ne soit pas encore achevée, déjà beaucoup peuvent lire sa condamnation écrite : « Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé léger ! ». Bientôt, la terrible chute de Babylone, la chrétienté, sera un fait accompli. Les vieilles superstitions qui l’ont si longtemps soutenue sont rapidement mises de côté ; les vieux credo religieux et les codes civils qui, jusqu’ici, ont été respectés et suivis aveuglément, sont maintenant hardiment discutés ; on constate leur peu de logique, et leurs erreurs palpables sont ridiculisées. Cependant, la pensée des masses humaines ne se tourne pas vers la vérité de la Bible ni vers la saine logique, mais plutôt vers l’incrédulité, qui sévit à la fois au dedans et au dehors de l’église nominale. Dans la prétendue église de Christ, la Parole de Dieu n’est plus le standard de la foi ni le guide de la vie. Philosophies et hypothèses humaines prennent sa place, et même des extravagances païennes commencent à prospérer là où, autrefois, elles ne pouvaient pénétrer.
Un petit nombre seulement dans la grande église nominale ont les yeux suffisamment ouverts et sont assez sages pour se rendre compte de sa déplorable condition, sans se laisser influencer par sa force numérique et financière ; les ouailles, aussi bien que les prédicateurs, sont trop intoxiqués et stupéfiés par l’esprit du monde si facilement reçu, pour remarquer son déclin spirituel. Mais, numériquement et financièrement, sa condition de déclin se fait profondément sentir, car à la perpétuité de ses organisations sont liés tous
(P 112) les intérêts, perspectives et plaisirs de la vie présente, et pour se les procurer, il est nécessaire de faire voir suffisamment qu’elle remplit ce que l’on croît être sa mission divine, savoir la conversion du monde. Nous montrerons dans un autre chapitre dans quelle mesure son effort est couronné de succès.
Tandis que nous voyons ainsi Babylone mise en accusation en présence d’un monde assemblé, avec quelle force la prophétie du Psalmiste, citée au début de ce chapitre et qui porte sur cet événement, nous revient à l’esprit ! Bien que Dieu ait gardé le silence durant tous les siècles pendant lesquels le mal a triomphé en son nom et ses véritables saints ont souffert la persécution sous de multiples formes, il n’a pas oublié ces choses. Maintenant, le moment est venu où il parle par la bouche du prophète, disant : « Mais je t’en reprendrai, et je te les mettrai devant les yeux ». Que ceux qui veulent se réveiller et se trouver du côté de l’équité dans ces temps d’importance extraordinaire, remarquent bien ces choses et voient combien prophétie et accomplissement correspondent parfaitement.