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ETUDE, X
REMEDES PROPOSES — SOCIAUX ET FINANCIERS
Prohibition (de l’alcool) et suffrage féminin. — Remonétisation de l’argent et tarifs douaniers protecteurs. « Communisme ». — « Ils avaient toutes choses communes ». — « Anarchisme ». — « Socialisme » ou « collectivisme ». — Babbitt sur l’édification sociale. Herbert Spencer sur le socialisme. — Exemples de deux communautés socialistes. — « Nationalisme ». — L’instruction technique générale comme remède. — L’ « impôt foncier » comme remède. — La réponse de Henry George au pape Léon XIII au sujet du Travail. — Le Dr Lyman Abbott sur la situation. — Suggestions d’un évêque méthodiste épiscopal. — D’autres espérances et d’autres craintes. — La seule espérance. — « Cette espérance bénie ». — L’attitude convenable pour le peuple de Dieu qui voit ces choses. — Etant dans le monde, mais non du monde.
« N’y a-t-il point de baume en Galaad? N’y a-t-il point là de médecin ? » « Nous avons traité Babylone, mais elle n’est pas guérie ; abandonnons-la, et allons-nous-en chacun dans son pays ; car son jugement, atteint aux cieux ». — Jér. 8 : 22 ; 51 : 7-9.
DIVERS sont les remèdes préconisés comme panacées afin de soulager la création gémissante dans sa condition actuelle, reconnue comme étant grave. Tous ceux qui éprouvent de la sympathie pour le « corps politique » souffrant, doivent également en éprouver pour les efforts faits par ses divers docteurs lesquels, ayant diagnostiqué la maladie, sont, chacun de leur côté, désireux que le malade essaie leur ordonnance. Les tentatives pour trouver un remède et pour l’appliquer sont certainement louables, et tous les cœurs charitables savent les apprécier. Néanmoins, un jugement sain, éclairé par la Parole de Dieu, nous montre qu’aucun des remèdes préconisés ne guérira la maladie. La présence et les services du Grand Médecin avec ses remèdes, ses médicaments,
(P 470) ses éclisses, ses bandages, ses camisoles de force et ses lancettes seront nécessaires. Seul, un emploi éclairé et persévérant de ceux-ci apportera une guérison de la maladie de la dépravation et de l’égoïsme humains. Toutefois, examinons brièvement les prescriptions d’autres docteurs ; nous pourrons ainsi remarquer jusqu’à quel point certaines d’entre elles se rapprochent de la sagesse de Dieu, et pourtant, combien toutes en manquent. Nous ne ferons pas cela par amour de la controverse, mais pour que chacun puisse voir clairement de quel seul et unique côté on peut attendre le secours espéré.
LA PROHIBITION DE L’ALCOOL
ET LE SUFFRAGE FÉMININ PROPOSÉS COMME REMÈDES
Ces deux remèdes sont généralement proposés ensemble, car il est certain que la prohibition de l’alcool n’obtiendra jamais la majorité des suffrages si les femmes n’ont pas le droit de vote ; même alors, on ne peut être certain d’obtenir la majorité. Ceux qui préconisent ce remède montrent des statistiques pour prouver que l’agitation et la pauvreté dans la chrétienté sont dues en grande partie au commerce de l’alcool, et ils affirment que si ce trafic était aboli, la paix et l’abondance seraient la règle et non l’exception.
Nous partageons de tout cœur la plupart des déclarations qui sont faites à ce sujet : l’ivrognerie est certainement l’un des fruits les plus pernicieux de la civilisation ; elle s’étend rapidement aux semi-civilisés et aux barbares. Nous nous réjouirions de la voir abolie maintenant et à jamais. Nous voulons bien admettre également que son abolition délivrerait beaucoup de gens de la pauvreté dont ils souffrent aujourd’hui, et que l’ivrognerie coûte chaque année, des centaines de millions de dollars qui sont ainsi gaspillés. Pourtant, ce n’est pas là le remède pour guérir les maux qui proviennent des conditions sociales actuelles, égoïstes, ni pour affronter et esquiver l’écrasante pression de la Loi de l’offre et de la demande, laquelle progresserait aussi inexorablement que jamais, pressurant le sang vital des masses populaires.
En vérité, qui gaspille cet argent en boissons alcooliques par millions de dollars chaque année ? Les très pauvres ? Oh non ! Ce sont les riches ! Les
(P 471) riches surtout, et en second lieu la classe moyenne. Si, demain le commerce de l’alcool était aboli, le résultat concernant le soulagement des très pauvres de la pression financière, serait exactement le contraire. Des milliers de fermiers qui produisent maintenant les millions de bushels d’orge, de seigle, de raisin et de houblon employés dans la fabrication des boissons alcooliques, seraient obligés de cultiver d’autres produits, et par suite, de déprécier davantage les produits de la ferme en général. L’immense armée des dizaines de milliers de distillateurs, de tonneliers, de tonneliers-cavistes, de verriers, de charretiers, de cabaretiers et de barmans, qui travaillent dans ce commerce ou en vivent, seraient forcés de trouver un autre emploi, accableraient davantage encore le marché du travail, et par conséquent, l’échelle des salaires journaliers. Les millions et millions de capitaux, actuellement investis dans ce commerce,, iraient vers d’autres branches et pousseraient à la concurrence commerciale.
Tout cela ne doit pas nous empêcher de désirer la suppression de la malédiction, s’il était possible d’obtenir une majorité pour y parvenir. Mais on ne trouvera jamais une majorité (sauf dans des localités exceptionnelles). La majorité se compose d’esclaves de cette passion et des gens qui s’y intéressent financièrement, soit directement, soit indirectement. La prohibition ne sera pas pleinement établie avant l’institution du Royaume de Dieu. Nous signalons simplement ici que si même on parvenait à lever cette malédiction de l’alcool, cela ne guérirait pas ) la maladie sociale et financière.
LA REMONÉTISATION DE ,L’ARGENT
ET LE TARIF DOUANIER PROTECTEUR COMME REMÈDES
Nous concédons franchement que la démonétisation de l’argent opérée par la chrétienté fut un coup de maître de la politique égoïste de la part des prêteurs en vue de diminuer le volume de l’étalon-argent et ainsi d’augmenter la valeur de leurs prêts, de permettre le maintien des taux d’intérêt élevés sur ces dettes à cause de la diminution de la monnaie légale, tandis que tous les autres investissements commerciaux, aussi bien que la main-d’oeuvre, souffrent
(P 472) une dépréciation constante comme résultats de l’augmentation croissante de la production et de la concurrence. Beaucoup de banquiers et de prêteurs sont des hommes « honnêtes » selon le niveau légal de l’honnêteté, mais hélas ! le niveau de certains est trop bas. Il fait dire : nous, banquiers et prêteurs, prenons garde à nos intérêts et laissons les fermiers, moins sagaces, prendre garde aux leurs. Trompons les plus pauvres et les moins sagaces en appelant l’or « la monnaie honnête », et l’argent, la « monnaie malhonnête ». Nombreux sont les pauvres qui désirent être honnêtes ; on peut ainsi les traiter avec dédain et, par la flatterie leur faire soutenir nos plans qui, pourtant, seront durs pour les « moissonneurs ». Sous l’influence de notre appellation de la « monnaie honnête », de notre prestige comme hommes honorables, de notre position sociale comme financiers et comme riches, ils concluront que toutes opinions contraires aux nôtres doivent être fausses ; ils oublieront que la monnaie d’argent a été• l’étalon monétaire du monde dès l’histoire ancienne, et que l’or, comme des pierres précieuses, fut d’abord une marchandise jusqu’à ce qu’il fût ajouté à l’argent pour satisfaire la demande croissante de monnaie en quantité suffisante pour faire les transactions du monde. Le taux d’intérêt baisse dans nos centres monétaires ; à quel point ne tomberait-il pas si tout l’argent était monnayé et que la monnaie serait ainsi plus abondante ! Notre prochaine étape doit être de retirer toute la monnaie de papier et ainsi de relever le taux d’intérêt.
Sous la loi de l’offre et de la demande, chaque emprunteur a intérêt à avoir beaucoup d’argent en espèces : argent, or et papier ; sous la même loi, chaque banquier, chaque prêteur a intérêt à supprimer le papier-monnaie et à discréditer l’argent ; moins il y a d’argent liquide de nature à régler une dette, plus ce peu de numéraire est recherché. En conséquence, alors que la valeur du travail et celle du commerce sont en train de baisser, l’argent en espèces est recherché et le taux de l’intérêt se maintient presque à son niveau.
Ainsi que nous l’avons déjà montré, la prophétie semble indiquer que l’argent ne sera pas rétabli à égalité de privilèges avec l’or comme étalon monétaire dans le monde civilisé. Mais il est
(P 473) manifeste que, même s’il était complètement rétabli, son secours ne serait que temporaire : il supprimerait le stimulant particulier qui est donné à présent aux industriels du Japon, de l’Inde, de la Chine et du Mexique ; il soulagerait l’élément agricole de la chrétienté, et ainsi ferait disparaître en partie la pression actuelle sous laquelle chacun travaille « pour joindre les deux bouts », et de cette manière pourrait-il remettre là débâcle à plus tard. Apparemment pourtant, Dieu ne désire pas retarder ainsi le « jour mauvais » ; c’est pourquoi l’égoïsme humain, aveugle à toute raison, dominera et provoquera la ruine le plus rapidement ; ainsi qu’il est écrit, « la sagesse de leurs sages périra », et « ni leur argent ni leur or ne pourront les délivrer au jour de la fureur de l’Éternel — Soph. 1 : 18 ; Ezéch. 7 : 19 ; Esaïe 14 : 4-7 (marge); 29 : 14.
La protection, estimée avec sagesse afin d’éviter la création de monopoles et de développer toutes les ressources naturelles d’un pays, présente sans aucun doute un certain avantage pour empêcher le nivellement rapide de la main-d’œuvre dans le monde entier. Cependant, sa limite extrême, ce n’est qu’un plan incliné sur lequel le salaire descendra vers le niveau le plus bas au lieu de passer au-dessus du précipice grâce à une violente secousse. Tôt ou tard, sous le système de concurrence qui prévaut actuellement, les marchandises aussi bien que les salaires seront presque amenés de force à un niveau commun dans le monde entier.
Ni la « remonétisation de l’argent », ni le tarif douanier protecteur ne peuvent donc prétendre être des remèdes aux maux actuels et aux maux imminents, mais ne sont que de simples palliatifs.
LE COMMUNISME COMME REMÈDE
Le communisme propose un système social où tous les biens seraient en commun, où toute propriété serait possédée en commun et exploitée dans l’intérêt général, et tous les profits du travail de tous consacrés au bien-être général, « à chacun selon ses besoins ». La tendance du
(P 474) communisme fut illustrée par la Commune française. Le Rév. Joseph Cook en donne la définition suivante : « Le Communisme signifie l’abolition de l’héritage, l’abolition de la famille, l’abolition des nationalités, l’abolition de la religion, l’abolition de la propriété ».
Il y a certains aspects du communisme que nous pourrions recommander (voir socialisme), mais dans son ensemble, il est tout à fait impraticable. Un tel arrangement conviendrait probablement très bien pour le ciel où tous sont parfaits, purs et bons, et où l’amour règne, mais un peu de réflexion devrait prouver aux hommes de jugement et d’expérience que, dans la condition actuelle du cœur humain, un tel plan est complètement impraticable. Le résultat serait de faire de tous, des paresseux. Nous aurions bientôt une compétition pour qui ferait le moins de travail et le plus mauvais travail, et la société tomberait bientôt dans la barbarie et l’immoralité, pour aboutir à l’extinction rapide de la race.
Cependant, certains s’imaginent que la Bible enseigne le Communisme, et qu’en conséquence, ce doit être le véritable remède, le remède donné par Dieu. Pour beaucoup, c’est là le plus fort argument en sa faveur. La supposition qu’il fut institué par notre Seigneur et les Apôtres et qu’il aurait dû continuer à être appliqué par les chrétiens comme leur règle et leur pratique, est très répandue. En conséquence, sur ce point du sujet, nous présentons ci-dessous un article tiré de notre propre revue périodique, The Watch Tower :
ILS AVAIENT TOUTES CHOSES COMMUNES »
« Et tous les croyants étaient en un même lieu, et ils avaient toutes choses communes ; et ils vendaient leurs possessions et leurs biens, et les distribuaient à tous, selon que quelqu’un pouvait en avoir besoin. Et tous les jours ils persévéraient d’un commun accord dans le temple ; et, rompant le pain dans leurs maisons, ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu, et ayant la faveur de tout le peuple. » — Actes 2 : 44-47.
Tel était le sentiment généreux de l’Eglise primitive : l’égoïsme faisait place à l’amour et à l’intérêt général. Expérience bénie ! Et sans aucun doute, un sentiment semblable, plus ou moins clairement défini, vient au cœur de tout
(P 475) véritable converti. Lorsque, pour la première fois, nous eûmes une idée nette de l’amour et du salut de Dieu, lorsque nous nous donnâmes complètement à l’Eternel et que nous discernâmes tous les dons qu’il nous fait non seulement pour cette vie présente, mais également pour celle qui est à venir, nous éprouvâmes une joie exubérante qui voyait en chaque co-pèlerin, en route vers le. Canaan céleste, un frère ou une sœur en qui nous avions confiance parce qu’il (ou elle) était apparenté (e) au Seigneur et ayant son esprit ; nous étions disposés à agir avec eux tous, comme nous l’aurions fait avec le Seigneur, et à partager notre tout avec eux comme nous l’aurions fait avec notre Rédempteur. En bien des cas, c’est par un coup rude que nous prîmes conscience du fait que ni nous-mêmes, ni les autres ne sont parfaits dans la chair que quelle que soit la mesure de l’esprit du Maître que ses disciples peuvent posséder maintenant, ils « ont ce trésor dans des vases terrestres » de fragilité ‘et de défectuosité humaines.
Alors nous apprîmes non seulement que l’on doit tenir compte des faiblesses de la chair d’autrui, mais que nous devons veiller à cause de nos propres faiblesses de la chair. Nous trouvâmes que si tous participent à la chute d’Adam, tous ne sont pas déchus au même degré, ni exactement sur les mêmes points. Tous sont déchus de l’image et de l’esprit d’amour de Dieu et ont l’image et l’esprit d’égoïsme de Satan ; de même que l’amour agit diversement, ainsi agit l’égoïsme. C’est pourquoi chez l’un l’égoïsme a produit le désir du bien-être, de la paresse, de l’indolence ; chez l’autre, l’énergie, l’activité pour obtenir les plaisirs de cette vie, pour assouvir ses propres désirs, etc.
Parmi ceux qui sont actifs dans leur égoïsme, certains trouvent leur satisfaction personnelle à amasser une fortune pour qu’on dise d’eux : ils sont riches ; d’autres satisfont leur égoïsme en recherchant les honneurs des hommes ; d’autres, dans la toilette, d’autres dans les voyages, d’autres dans la débauche et dans les formes les plus viles de l’égoïsme.
Quiconque est engendré à la nouvelle vie en Christ, ayant son nouvel esprit d’amour, trouve un conflit naissant, des luttes intérieures et extérieures, car le nouvel esprit combat toute forme d’égoïsme ou de dépravation qui jusqu’ici nous dominait. L’ « esprit de Christ » [« mind »], dont les principes sont la justice et l’amour, s’affirme et rappelle à la volonté qu’elle doit être fidèle à ce changement qu’elle a accepté par contrat. Les désirs de la chair (les désirs égoïstes, quelle que soit leur tendance), encouragés à l’extérieur par l’influence d’amis, argumentent et discutent la question, préconisant de ne pas prendre des mesures radicales, qu’une telle
(P 476) ligne de conduite serait stupide, insensée, impossible. La chair insiste en montrant qu’on ne peut pas changer son ancienne conduite, mais acceptera de légères modifications et non des choses tout à fait contraires à celles d’autrefois.
La grande majorité du peuple de Dieu semble être ‘ d’accord avec cette manière de faire laquelle est encore en réalité le règne de l’égoïsme. D’autres, par contre, insistent en disant que c’est l’esprit ou la mentalité «mind » de Christ qui doit dominer. Le combat qui s’ensuit est un combat difficile (Gal. 5 : 16-17); mais la nouvelle volonté devrait remporter la victoire, et le moi, avec son propre égoïsme, ou ses désirs dépravés, être considéré comme mort. — Col. 2 : 20 ; 3 : 3 ; Rom. 6 : 2-8.
Pourtant, est-ce là la fin de la lutte du chrétien ? Non point.
« Au repos content ne t’adonne
Ni ne te crois victorieux ;
Tu n’es certain de la couronne
Qu’après le combat glorieux. »
Ah ! certes, jour après jour, il nous faut renouveler le combat, implorer et recevoir l’aide divine, pour qu’avec joie nous puissions achever notre course. Non seulement nous devons conquérir notre « moi », mais nous devons, comme le fit l’Apôtre, tenir notre corps assujetti (1 Cor. 9 : 27 — Seg.). Cette expérience qui est la nôtre, d’être constamment sur nos gardes contre l’esprit d’égoïsme, et de soutenir et de développer en nous-mêmes l’esprit d’amour, est l’expérience de tous ceux qui, pareillement, se sont « revêtus de Christ » et ont accepté et ont aban—- donné leur volonté pour faire la sienne, d’où la justesse de la remarque faite par l’Apôtre : ‘« Désormais, nous ne connaissons personne [en Christ] selon la chair » (2 Cor. 5 : 16). Nous connaissons ceux en Christ selon leur nouvel esprit, et non selon leur chair déchue. Si parfois, nous les voyons tomber, serait-ce même à chaque pas à un certain degré, et que cependant, nous discernons des preuves que la nouvelle mentalité lutte pour avoir le dessus, nous sommes équitablement disposés à sympathiser avec eux plutôt qu’à les réprimander durement pour de petits manquements ; « prenant garde à nous-mêmes, de peur que nous aussi nous ne soyons tentés [par notre vieille nature égoïste, en violant quelque peu ce qu’exige la loi parfaite d’amour].
Dans « la détresse actuelle », par conséquent, où chacun a bien à faire pour assujettir son corps et pour que l’esprit d’amour le domine, le sobre bon sens, aussi bien que l’expérience et la Bible, nous enseignent qu’il vaut mieux ne pas compliquer les choses en essayant d’appliquer des plans communistes ; mais que chacun fasse des sentiers aussi droits que possible à ses propres pieds, afin que
(P 477) ce qui est boiteux en notre propre chair ne se dévoie pas entièrement du chemin, mais plutôt se guérisse.
(1) Un jugement sain nous dit que si les saints, avec l’aide divine, ont une lutte continuelle à soutenir pour’ soumettre l’égoïsme à l’amour, une colonie ou une communauté promiscue ne réussirait certainement pas à se gouverner par une loi totalement étrangère à l’esprit de la majorité de ses membres. Il ne serait pas possible non plus d’établir un communisme de saints seulement, parce que nous ne pouvons pas lire dans les cœurs — seul, « le Seigneur connaît ceux qui sont siens ». Si une telle colonie de saints pouvait voir le jour, et prospérer ayant toutes choses en commun, toutes sortes de mauvaises personnes chercheraient à s’emparer de leurs possessions ou à les partager ; si, toutefois, on réussissait à les exclure, elles diraient alors toutes sortes de mal contre elle, et ainsi, si même elle se maintenait, l’entreprise ne serait, pas un succès positif.
Certains saints, et beaucoup des gens du monde, sont tellement tombés dans une indolence égoïste que la nécessité seule les aidera à « n’être pas paresseux, mais fervents en esprit, servant le Seigneur ». Beaucoup d’autres sont si égoïstement ambitieux qu’ils ont besoin des coups de l’insuccès et de l’adversité pour les assagir et les rendre capables de sympathiser avec d’autres, ou même pour les amener à les traiter avec équité. Pour ces deux classes, la « communauté » ne servirait simplement qu’à les empêcher d’apprendre les leçons convenables et nécessaires.
De telles communautés, laissées sous la direction de la majorité, tomberaient bien vite au niveau de cette dernière, car la minorité progressiste, active, s’apercevant qu’il n’y a rien à gagner par l’énergie et l’économie pour contrebalancer l’insouciance et la paresse, deviendrait également et de plus en plus insouciante et paresseuse. Si ces communautés étaient dirigées par des organisateurs de forte volonté comme directeurs et administrateurs à vie, sur un principe de paternalisme, le résultat serait meilleur du point de vue financier, mais les masses, privées de responsabilité personnelle, dégénéreraient en simples outils et esclaves des administrateurs.
Pour un jugement sain, il est donc clair que la méthode de l’individualisme, avec sa liberté et sa responsabilité, est la meilleure pour le développement d’êtres intelligents, même si elle provoque souvent des difficultés à tous, et parfois à beaucoup.
Un jugement sain peut discerner que si le Royaume millénaire était établi sur la terre, avec ses gouverneurs divins
(P 478) qui ont été promis pour cette époque, soutenus par une sagesse infaillible et ayant pleins pouvoirs de l’employer, mettant « le jugement pour cordeau, et la justice pour plomb », gouvernant non par le consentement de majorités, mais par un jugement droit, comme « avec une verge de fer », alors le communisme pourrait réussir ; ce serait probablement la meilleure des conditions ; si cela était, ce serait la méthode que choisirait le Roi des rois ; mais pour cela, nous devons attendre. N’ayant ni la puissance ni la sagesse pour employer un tel pouvoir théocratique, l’esprit de sobre bon sens attend l’heure du Seigneur, en priant « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Après que le Royaume de Christ aura ramené à Dieu et à la droiture tous les humains bien disposés, et qu’il aura détruit tous les rebelles, alors quand l’amour sera la règle de conduite sur la terre comme elle l’est dans le ciel, il nous est permis’ de supposer que tous les hommes participeront en commun aux bénédictions de la terre, comme les anges participent aux libéralités du ciel.
(2) L’expérience prouve l’échec du communisme dans le temps présent. Il y a eu plusieurs communautés de ce genre, et le résultat a toujours été un échec. La communauté d’Qneida à New York en est une dont l’échec a été depuis longtemps reconnu. Une autre, the Harmony Society de Pennsylvanie, déçut rapidement les espérances de ses fondateurs, car la discorde prévalut à tel point que la société se sépara. La branche connue sous le nom des Economites siégea près de Pittsburgh (Pie). Elle prospéra pour un temps, dans une certaine mesure, mais elle a maintenant disparu, et l’on se dispute à présent la possession de ses biens dans la Société et dans les tribunaux.
D’autres sociétés communistes surgissent actuellement qui auront bien moins de succès que ces dernières parce que les temps sont différents : l’indépendance est plus grande, le respect et la crainte scrupuleuse sont en baisse, les majorités veulent gouverner, et sans conducteurs surhumains, il est certain que ces sociétés échoueront. Des conducteurs mondains habiles cherchent leurs propres intérêts, tandis que de sages chrétiens s’affairent dans d’autres branches pour obéir au commandement du Seigneur : « Va et prêche l’Evangile ».
(3) La Bible n’enseigne pas le Communisme, mais elle enseigne l’Individualisme affectueux, plein d’égards pour autrui sauf dans le sens du communisme familial, chaque famille agissant comme une unité dont le père est le Chef et l’épouse en unité avec lui, sa cohéritière de la grâce de vie, sa partenaire dans toutes les joies, tous les bienfaits, aussi bien que dans l’adversité et dans le chagrin.
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Dieu permit un arrangement communiste dans l’Eglise primitive, ainsi que nous le notions au début de cet article mais il est possible que cela eut lieu dans le dessein de nous démontrer le défaut de sagesse de la méthode, et aussi de crainte que plus tard, certains ne supposent que les apôtres n’ordonnèrent ni n’organisèrent des communautés, parce qu’ils manquaient de sagesse pour élaborer et exécuter de telles méthodes. On ne peut, en effet, citer aucune parole de notre Seigneur ou des apôtres soutenant le communisme ; par contre, on pourrait en citer beaucoup soutenant le contraire.
Pierre (et probablement d’autres apôtres) eut connaissance de ce premier arrangement communiste et y coopéra, même s’il n’enseigna pas le système. On a prétendu aussi que la mort d’Ananias et de Saphira fut une indication qu’il y avait obligation pour tous les croyants de donner tous leurs biens, mais il n’en est rien : leur péché fut d’avoir menti comme le déclara Pierre en examinant l’affaire. Pendant qu’ils avaient le terrain, il n’y avait aucun mal pour eux de le conserver s’ils l’avaient acquis honnêtement, et même après l’avoir vendu, ils pouvaient en conserver le produit ; ce qui était mal était de faire croire que la somme d’argent remise aux apôtres était la somme tout entière, alors que ce n’était -pas vrai. Ils essayaient ainsi de tromper les autres en ayant part à leur tout sans eux-mêmes donner leur tout personnel.
C’est un fait que la communauté chrétienne à Jérusalem fut un échec. « Il s’éleva un murmure », « parce que leurs veuves étaient négligées dans le service journalier ». Bien que sous l’inspection apostolique, l’Eglise fût vierge et exempte d’ivraie, et que tous possédaient le trésor du nouvel esprit ou « mentalité de Christ » (« mind »), cependant, il est évident que ce trésor était dans des vases terrestres déformés et tortueux qui ne pouvaient lui convenir parfaitement.
Les apôtres trouvèrent bientôt que l’administration de la communauté gênerait beaucoup leur véritable travail, la prédication de l’évangile. Aussi abandonnèrent-ils ces choses à d’autres. Paul et d’autres voyagèrent de ville en ville prêchant Christ et Christ crucifié, mais pour autant que cela nous soit rapporté, ils ne firent jamais mention du communisme et n’organisèrent jamais une communauté ; et pourtant saint Paul déclare : « Je n’ai mis aucune réserve à vous annoncer tout le conseil de Dieu ». Cela prouve que le Communisme ne fait pas partie du conseil de Dieu pour cet Age.
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Au contraire, Paul exhorta et instruisit l’Eglise à faire des choses qu’il serait totalement impossible à faire comme membres d’une société communiste : pour chacun d’ « avoir soin des siens », « que chaque premier jour de la semaine chacun mette » de l’argent pour le service du Seigneur, selon que le Seigneur l’aura fait prospérer, que les serviteurs obéissent à leurs maîtres, qu’ils les servent d’autant plus si leurs maîtres sont aussi des frères en Christ, et que les maîtres traitent leurs serviteurs comme devant en rendre compte au grand Maître, Christ. — 1 Tim. 5 : 8 ; 6 :1 ; 1 Cor. 16 : 2 ; Eph. 6 : 5-9.
Non seulement Jésus n’établit pas de communauté pendant sa vie terrestre, mais il n’enseigna jamais qu’il fallait en établir. Au contraire, dans ses paraboles, il enseigna que tous ne reçoivent pas le même nombre de talents, mais que chacun est un intendant et devrait individuellement (et non collectivement, en commun) administrer ses propres affaires et rendre personnellement ses comptes (Matt. 25 : 14-28 ; Luc 19 : 12-24 ; Jacques 4 : 13, 15). En mourant, Jésus confia sa mère aux soins de Jean qui, selon Jean 19 : 27, « dès cette heure-là, la prit chez lui ». Jean avait donc son chez soi, de même que Marthe, Marie et Lazare avaient le leur. Si notre Seigneur avait fondé une communauté, il lui aurait sans doute confié sa mère au lieu de la recommander à Jean.
En outre, la formation d’une communauté de croyants se trouve en opposition avec le but et les méthodes de l’Age de l’Evangile. L’objet de cet Age est de porter témoignage de Christ au monde, et ainsi d’ « en tirer un peuple pour son nom » ; à cette fin, chaque croyant est exhorté à être une lumière ardente et brillante devant les hommes, le monde en général, et non devant quelques-uns seulement. C’est pourquoi, après avoir permis l’établissement de la première Communauté chrétienne afin de montrer que ce n’était pas par négligence qu’on n’en établit pas partout, le Seigneur l’avait dissoute et en avait dispersé les croyants dans toutes les directions pour prêcher l’Evangile. Nous lisons : « Or, en ce temps-là, il y eut une grande persécution contre l’assemblée qui était à Jérusalem ; et tous furent dispersés dans les contrées de la Judée et de la Samarie, excepté les apôtres », et ils allaient de lieu en lieu, prêchant l’Evangile. — Actes 8 : 1, 4 ; 11 : 19.
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La tâche qui incombe aujourd’hui encore au peuple de Dieu est de briller comme des lumières au milieu du monde et non pas de s’enfermer dans des couvents, des , cloîtres ou dans des communautés. Les promesses du Paradis ne se réaliseront pas en se joignant à de telles communautés. Le désir de se joindre à de telles « confédérations » n’est qu’une manifestation de l’esprit général de notre époque, contre lequel nous sommes mis en garde (Esaïe 8 : 12). « Demeure tranquille, appuyé sur l’Eternel, et attends-toi à lui » (Ps. 37 : 7). « Veillez donc, priant en tout temps, afin que vous soyez estimés dignes d’échapper à toutes ces choses qui doivent arriver, et de vous tenir devant le Fils de l’Homme. » — Luc 21 : 36.
L’ANARCHIE COMME REMÈDE
Les anarchistes veulent la liberté jusqu’au point de mépriser toute loi. Ils sont apparemment arrivés à la conclusion que toutes les méthodes de coopération humaine se sont trouvées être des échecs, et ils proposent de détruire toutes les restrictions humaines de coopération. L’anarchie est donc exactement le contraire du Communisme, bien que certains les confondent l’une avec l’autre. Tandis que le Communisme voudrait détruire tout Individualisme et obliger le monde entier à partager le même sort, l’Anarchie voudrait détruire toute loi et toute restriction sociale afin que chaque individu pût faire comme il lui plaît. L’Anarchisme ne cherche qu’à détruire et, pour autant que nous puissions le discerner, il ne présente pas d’aspects constructifs. Il considère probablement qu’il a une tâche suffisante à détruire le monde, et qu’il vaut mieux laisser l’avenir prendre les mesures nécessaires en matière de reconstruction.
Voici des extraits d’une brochure de seize pages publiée par les Anarchistes de Londres et distribuée à leur grand défilé du 1″ mai ; ils donnent une certaine idée de leurs conceptions étranges et désespérées :
L’opinion qu’il faut qu’il y ait une autorité quelque part et que l’on soit soumis à cette autorité, est la source de toutes nos misères. Comme remède, nous conseillons une lutte pour la vie ou pour la mort contre toute autorité : l’autorité physique incarnée dans l’Etat, ou l’autorité doctrinale, résultat de siècles
(P 482) d’ignorance et de superstition, telles que la religion, le patriotisme, l’obéissance aux lois, la croyance en l’utilité d’un gouvernement, la soumission aux riches et à ceux qui sont en place ; en bref, une lutte contre toutes mystifications destinées à abrutir et à asservir les travailleurs. Il faut, de toute nécessité, que ceux-ci détruisent l’autorité… Le patriotisme et la religion sont des sanctuaires et des remparts pour les gredins ; la religion est la plus grande malédiction de la race humaine. Néanmoins, il se trouve des hommes qui avilissent le noble terme « travail » en l’associant au terme répugnant « église » dans l’expression « Eglise du Travail ». On pourrait aussi bien parler d’une « Police du Travail ».
Nous ne partageons pas l’opinion de ceux qui croient que l’on peut convertir l’Etat en une institution de bienfaisance. Il serait aussi difficile d’opérer ce changement que de convertir un loup en un agneau. Nous ne croyons pas davantage à la centralisation de toute la production et de toute la consommation comme le voudraient les socialistes. Ce ne serait rien d’autre que l’Etat actuel sous une nouvelle forme, avec une autorité accrue, un véritable monstre de tyrannie et d’esclavage.
Ce que veulent les anarchistes, c’est la liberté égale pour tous. Les talents et les penchants de tous les hommes diffèrent chez les uns et chez les autres. Chacun connaît le mieux ce qu’il peut faire et ce dont il a besoin ; des lois et des ordonnances ne font qu’embarrasser, et le travail forcé n’est jamais agréable. Dans l’Etat espéré par les anarchistes, chacun fera le travail qui lui plaît le mieux, et satisfera ses besoins en prélevant ce qui lui plaît le mieux sur le stock commun. »
Il semble que même le jugement le plus médiocre et que la moindre expérience ne verraient, dans cette proposition, rien d’autre qu’une complète absurdité. On n’y voit aucun remède qui soit proposé ou espéré : ce n’est que le grincement de dents de la fureur du désespoir ; telle est pourtant la situation très critique vers laquelle les multitudes sont entraînées par la force des circonstances mue par l’égoïsme.
LE SOCIALISME OU COLLECTIVISME COMME REMÈDE
Comme gouvernement civil, le Socialisme proposerait d’assurer la reconstruction de la société, l’augmentation des richesses et une
(P 483) distribution plus égale des produits du travail, grâce à la possession collective publique des terres et des capitaux (des richesses autres que les immeubles), et l’administration d’une manière collective par le public de toutes les industries. Sa devise est : « A chacun selon ses œuvres ».
Le Socialisme diffère du « Nationalisme » en ce qu’il ne propose pas de récompenser tous les individus de la même façon. Il diffère du « Communisme » en ce qu’il ne soutient pas une communauté de biens et de propriété. Dans notre jugement, il évite ainsi les erreurs des deux ; il constitue une théorie très pratique si l’on pouvait l’introduire d’une manière graduelle et par des hommes sages, modérés, désintéressés. Dans diverses localités, ce principe a déjà fait beaucoup de bien sur une petite échelle. Dans nombre de villes aux Etats-Unis, la fourniture de l’eau, les embellissements des rues, le service scolaire, les services d’incendie et de police sont administrés de cette façon pour le bien de tous. Cependant, l’Europe est en avance sur nous dans ce domaine, car beaucoup de ses chemins de fer et de ses télégraphes sont administrés ainsi. En France, le commerce du tabac avec tous ses profits appartient au gouvernement, au peuple. En Russie, le commerce des boissons fortes a été saisi par le gouvernement, et depuis lors, doit être administré par lui au profit financier du public, et également dit-on à son profit moral.
Voici des statistiques intéressantes, extraites de
L’ÉDIFICATION SOCIALE »
par E. D. Babbitt, LL.D. du College de Fine Forces (New Jersey) :
Soixante-huit gouvernements possèdent leurs propres lignes télégraphiques.
Cinquante-quatre gouvernements possèdent leurs chemins de fer en totalité ou en partie, tandis que dix-neuf seulement dont les Etats-Unis ne les possèdent pas.
En Australie, on peut parcourir en chemin de fer 1 000 miles [1 609 km environ — Trad.] à travers le pays pour 5,50 $, ou six miles [9,656 km environ — Trad.] pour 2 « cents », et les employés de chemin de fer sont payés davantage pour huit heures de travail qu’ils ne le sont aux Etats-Unis pour dix heures de travail. Est-ce• que cela appauvrit le pays ?
(P 484) A Victoria où existent ces tarifs, le revenu net pour 1894 fut suffisant pour régler les impôts fédéraux.
En Hongrie, où les chemins de fer sont la propriété de l’Etat, on peut parcourir six « miles » pour un « cent », et depuis que le gouvernement a acheté les chemins de fer, les salaires ont doublé.
En Belgique, les tarifs voyageurs et les tarifs marchandises ont baissé de moitié, et les salaires doublé. Mais pour tout cela, les chemins de fer paient au gouvernement un revenu annuel de 4 000 000 de $.
En Allemagne, les chemins de fer qui appartiennent au gouvernement transportent un voyageur sur quatre « miles » pour un « cent », tandis que les salaires des employés sont 120 % plus élevés que lorsque les chemins de fer appartenaient à des compagnies privées. Un tel système s’est-il révélé ruineux ? Non. Durant les dix dernières années, les bénéfices nets ont augmenté de 41 %. L’an dernier (1894), les chemins de fer ont payé au gouvernement allemand un bénéfice net de 25 000 000 de $.
On a estimé que la possession des chemins de fer par le gouvernement économiserait au peuple des Etats-Unis un milliard de dollars en argent, et accorderait de meilleurs salaires aux employés dont l’effectif nécessaire serait alors de deux millions au lieu des 700 000 actuels.
Berlin, en Allemagne, est appelée la ville la plus propre, la mieux payée et la mieux administrée du monde entier. Elle possède des services de gaz, d’électricité et des eaux, ses tramways, ses téléphones urbains et même son assurance contre l’incendie, et elle fait ainsi, chaque année, un bénéfice de 5 000 000 de marks, soit 1 250 000 $, toutes dépenses faites. Dans cette ville, les citoyens peuvent parcourir cinq « miles » aussi souvent qu’il leur plaît chaque jour durant toute l’année pour 4,50 $, alors que deux voyages par jour sur les chemins de fer des rues de New York coûteraient 36,50 $.
« Dans le Twentieth Century, M. F. G. R. Gordon a donné les statistiques qui se rapportent à l’éclairage d’un certain nombre de villes américaines ; il trouve que le prix moyen de l’éclairage de chaque lampe à arc est de 52,12 1/2 $ par an quand c’est la municipalité qui s’en charge, tandis que le prix moyen payé à des compagnies privées par les diverses, villes est de 105,13 $ par lampe chaque année, soit un peu plus que le double du prix payé lorsque les villes se chargent elles-mêmes de l’éclairage.
« Le prix moyen des télégrammes aux Etats-Unis était, en 1891, de trente-deux « cents » et demi. En Allemagne, où les télégraphes appartiennent au gouvernement; on expédie des messages de dix mots dans toutes les parties du pays pour cinq « cents ».
(P 485) Ici, en raison des distances plus grandes et des prix plus élevés de la main-d’œuvre, nous devrions probablement payer de cinq à vingt « cents », suivant la distance. Le remarquable avantage• d’avoir chaque municipalité gérant ses propres services de gaz, d’eau, de charbon et des voies ferrées dans ses rues, a été démontré par… des villes de Grande-Bretagne. »
A tout, cela, nous répondons : très bien. Et pourtant, aucun homme sensé ne prétendra que les pauvres d’Europe jouissent des bénédictions du Millénium, même si ces doctrines socialistes sont en application au milieu d’eux. Aucun homme bien informé ne se chargera de dire que les classes ouvrières d’Europe sont, quelque part, presque à égalité avec des travailleurs des Etats-Unis en général. Ce pays-ci est encore à leurs yeux le Paradis, et l’on établit même des lois maintenant pour restreindre les milliers d’entre eux •qui désirent toujours avoir part à ce Paradis.
Cependant, tout en nous réjouissant de chaque amélioration apportée à la condition des pauvres en Europe. n’oublions pas que le mouvement de nationalisation, à l’exception de la Grande-Bretagne, résulte non pas d’une sagacité plus grande de la part du peuple, ni de la bienveillance ou de l’indolence de la part du Capital, mais d’une autre cause qui n’opère pas aux Etats-Unis : des gouvernements eux-mêmes. Ils ont procédé à des nationalisations (gaz, eau, charbon, etc.) afin d’éviter la faillite. Ils ont d’immenses dépenses à faire pour entretenir des armées, des marines, des forteresses, etc. ; aussi leur faut-il une source de revenus. Les bas tarifs de voyage ont pour but de plaire aux citoyens et aussi d’attirer les affaires, car si les tarifs n’étaient pas bon marché, la masse de ceux qui ont de faibles salaires ne pourraient pas voyager. Dans la situation actuelle, les wagons de quatrième classe, en Allemagne, sont des wagons à marchandises, sans aucun siège.
En considérant bien de tels faits, ne nous faisons pas d’illusion en supposant que ces mesures résoudraient le problème du Travail, ou même redresseraient la situation pour plus de six années, et cela dans une bien faible mesure.
Nous avons des raisons de croire que le Socialisme fera de grands progrès au cours des prochaines années. Cependant,
(P 486) ces progrès seront faits fréquemment avec un manque de sagesse et de modération : le succès en grisera certains de ses défenseurs, et l’échec en désespérera d’autres ; il en résultera de l’impatience qui mènera à la catastrophe. Le Capitalisme et le Monarchisme considèrent le Socialisme comme un ennemi, et déjà ils s’opposent à lui autant qu’ils osent le faire, en raison de l’opinion publique. L’église nominale, bien que remplie d’ivraie et de mondanité, est toujours un puissant facteur dans cette situation, car elle représente et domine largement les classes moyennes sur qui repose l’équilibre du pouvoir entre les classes extrêmes de la société. A celles-ci, l’image du Socialisme a été jusqu’ici considérablement déformée par ses amis dont la plupart ont été des incroyants. Les gouvernants, les capitalistes et les membres du clergé, à quelques exceptions près, se saisiront des premières mesures extrêmes du Socialisme pour l’attaquer, le stigmatiser d’infamie et l’étrangler pour un temps, en s’encourageant par des arguments spécieux que l’intérêt personnel et la peur leur suggéreront.
Nous ne pouvons que nous réjouir de discerner que des principes d’équité sont mis en mouvement, même si ce n’est que temporairement et partiellement. Tous ceux dont les intérêts seraient affectés à cette occasion devraient s’efforcer de prendre une position libérale et abandonner une partie de leur avantage personnel pour le bien général.
Comme nous l’avons donné à entendre, le mouvement sera étouffé par la puissance combinée de l’église, de l’Etat et du Capital, et conduira plus tard à la grande explosion de l’anarchie, dans laquelle, comme l’indiquent les Ecritures, sombreront toutes les institutions actuelles — « un temps de détresse tel, qu’il n’y en a pas eu depuis qu’il existe une nation ».
Même si le Socialisme était appliqué entièrement, il se révélerait n’être qu’un soulagement temporaire, aussi longtemps que l’égoïsme est le principe moteur dans les cœurs de la majeure partie des humains. Il y a des intrigants-nés qui trouveraient rapidement le moyen de s’approprier pour eux-mêmes les travaux publics les plus intéressants et des compensations. Des parasites pulluleraient et prospéreraient au détriment de l’édifice social
(P 487) et l’on trouverait partout des « combines » [« rings » — Trad.]. Aussi longtemps que les gens reconnaîtront un principe et le respecteront, ils s’y conformeront plus ou moins : par conséquent, le Socialisme pourrait être tout d’abord comparativement pur, et ses représentants en fonction, des serviteurs fidèles du public et pour le bien public. Mais que le Socialisme devienne populaire, et les mêmes intrigants, malins, égoïstes, qui sont maintenant ses adversaires, le pénétreront et le domineront à leurs fins égoïstes.
Les Communistes et les Nationalistes comprennent qu’aussi ‘longtemps que les différences de rémunération seront permises, l’égoïsme pervertira et déformera la vérité et la justice, et que, pour satisfaire l’orgueil et l’ambition, il s’élèvera au-dessus de toutes les barrières que les hommes peuvent dresser contre la pauvreté. Pour faire face à cette difficulté, ils ont recours à des mesures impraticables qu’ils revendiquent : impraticables parce que les hommes sont des pécheurs, et non des saints ; égoïstes et non remplis d’amour.
L’OPINION DE HERBERT SPENCER SUR LE SOCIALISME
Herbert Spencer, le célèbre philosophe et économiste anglais, mentionnant la déclaration selon laquelle le socialiste italien Ferri soutient ses doctrines, écrivit : « L’assertion que l’une quelconque de mes vues soutient le Socialisme me cause une grande irritation. Je crois que l’avènement du Socialisme est le plus grand désastre que le monde ait jamais connu. »
Tandis que de grands penseurs sont d’accord pour trouver que la concurrence ou l’ « individualisme » présente des tares qui exigent des remèdes énergiques, ils protestent contre l’asservissement de l’individu à une organisation sociale, ou plutôt l’ensevelissement de toute individualité dans le Socialisme comme étant éventuellement le plus grand désastre ; il créerait en effet des armées de fonctionnaires publics, ferait plus encore que maintenant un commerce de la politique, et en conséquence ouvrirait la voie plus que jamais aux « combines » et à la corruption générale.
L’extrait suivant de Literary Digest du 10 août 1895 a , un rapport avec le sujet que nous examinons, et montre que
(P 488) les principes socialistes ne persisteraient pas à moins d’être soutenus par une force quelconque tant est puissant l’égoïsme dans tous le genre humain :
DEUX COMMUNAUTÉS SOCIALISTES »
« Deux expériences pratiques de socialisme attirent l’attention de ceux qui étudient l’économie sociale à l’étranger. Dans les deux cas, les promoteurs originaux des communautés socialistes réussissent plutôt bien, et même dans l’une d’elles ils sont florissants. Pourtant, dans les deux cas, la tentative de vivre conformément aux enseignements des théoriciens socialistes a échoué. Les communistes des premiers jours sont retournés à des méthodes qui diffèrent à peine de celles de la bourgeoisie qui les environne. Il y a un peu plus de deux ans, un groupe d’ouvriers australiens, fatigués d’une vie d’esclaves salariés soulagée seulement par les difficultés d’une oisiveté forcée, partirent pour le Paraguay où ils obtinrent de la terre qui convient à des fermiers ne disposant pas de grandes machines. Ils appelèrent leur colonie « la nouvelle Australie », et ils espéraient en faire un Eldorado de l’ouvrier. Le ministère britannique des Affaires étrangères, dans son tout dernier rapport officiel, donne un bref historique du mouvement qui a amené beaucoup d’hommes à quitter l’Australie, « l’Eldorado du travailleur » pour l’Amérique du Sud. Nous citons de ce rapport l’extrait suivant :
Les desseins de la colonie furent exposés dans sa constitution ; dans l’un des articles, nous lisons : « Notre intention est de former une communauté dans laquelle tout le travail sera produit dans l’intérêt de chaque membre, et où il sera impossible à quiconque d’en tyranniser un autre. Chaque individu aura le devoir de considérer le bien-être de la communauté comme son principal but, assurant ainsi un degré de confort, de bonheur et d’instruction impossible à trouver dans la condition d’une société où personne n’est assuré de ne pas mourir de faim. »
Cet idéal n’a pas été réalisé. Quatre-vingt-cinq des colons furent bientôt las des restrictions qui leur étaient imposées par la majorité, et refusèrent d’obéir. De nouvelles arrivées d’Australie compensèrent la perte occasionnée par cette sécession, mais les nouveaux arrivés mécontents du conducteur du mouvement élirent un chef de leur choix, de sorte qu’il y a maintenant, trois partis dans la colonie. Le partage égal du produit
(P 489) de leur travail mécontenta bientôt un certain nombre de travailleurs, lesquels, contrairement aux règles socialistes, demandèrent une part proportionnelle au travail qu’ils avaient fait. La stricte application de la Prohibition fut une autre cause de mécontentement, surtout parce que toute violation de cette interdiction était passible d’expulsion sans aucune chance de reprendre le capital original englouti dans les remboursements de l’entreprise. La colonie était sur le point de se séparer, lorsque l’ancien conducteur du mouvement réussit à se faire nommer juge par les autorités du Paraguay, et à s’entourer d’une force de police. On espère que la colonie va maintenant devenir prospère, mais les principes socialistes ont été abandonnés. »
« L’expérience des mineurs de Monthieux est quelque peu différente. Dans leur cas, ce fut la prospérité qui provoqua l’abandon des doctrines socialistes. Le Gewerbe Zeitung de Berlin nous conte ainsi leur histoire :
« A Monthieux, près de Saint-Etienne, se trouve un puits abandonné par la compagnie qui l’avait possédé quelques années auparavant et avait congédié les mineurs. Comme ils n’avaient aucune chance de trouver un emploi dans le voisinage, ils demandèrent à la compagnie de leur transférer le puits ; les propriétaires ne crurent pas que le puits serait rentable, aussi consentirent-ils. Les mineurs n’avaient aucune machine, mais ils travaillèrent de tout leur cœur et parvinrent à trouver de nouvelles veines. Ils firent des efforts presque surhumains et s’arrangèrent pour économiser suffisamment sur leurs gains pour acheter des machines, et les mines abandonnées de Monthieux devinrent une source de richesse pour les nouveaux propriétaires. Les anciens propriétaires essayèrent alors de reprendre possession des mines, mais perdirent leur procès, et la presse ouvrière ne manqua pas de mettre en contraste l’avarice des capitalistes avec la I noblesse des mineurs qui faisaient un partage égal du produit de leur travail. On mit en vedette les mines de Monthieux comme un exemple du triomphe du Collectivisme sur l’exploitation du capital privé.
« Pendant ce temps, les mineurs augmentèrent les opérations au point qu’ils ne purent faire désormais tout le travail sans une aide supplémentaire. D’autres mineurs furent embauchés et firent de leur mieux pour avancer le travail. Mais les hommes qui avaient les premiers entrepris de rendre le puits productif, refusèrent de partager à égalité avec les nouveaux venus. Ils savaient que la richesse qui reposait sous leurs pieds avait été découverte par eux et au prix d’efforts
(P 490) presque surhumains ; ils avaient, pour ainsi dire, fait quelque chose de rien, pourquoi devraient-ils partager les résultats de leur labeur avec les nouveaux venus qui avaient en fait, travaillé pendant tout ce temps-là mais ailleurs ? Pourquoi devraient-ils donner aux nouveaux camarades quelque chose de la moisson qu’ils n’avaient pas semée ? Les nouveaux venus devaient être bien payés, mieux que dans d’autres mines, mais ils ne devaient pas devenir des copropriétaires. Et lorsque les nouveaux venus provoquèrent de l’agitation, les ouvriers capitalistes allèrent chercher la police. »
LE NATIONALISME COMME REMÈDE
Le Nationalisme est une doctrine qui s’est développée plus tard en rapport avec le socialisme. Il prétend que toutes les industries devraient être dirigées par la nation, sur le principe d’une obligation commune de travailler et une garantie générale de moyens d’existence : tous les travailleurs doivent fournir la même somme de travail et reçoivent le même salaire.
Les nationalistes prétendent que :
« Les unions, trusts et syndicats dont les gens se plaignent à présent, démontrent la possibilité pratique de notre principe fondamental d’association. Nous cherchons simplement à étendre un peu plus ce principe en obtenant que toutes les industries travaillent dans l’intérêt de tous sous la direction de la nation, le peuple organisé, l’unité organique du peuple tout entier.
« L’organisation industrielle actuelle se prouve défectueuse par les torts immenses qu’elle engendre ; elle se révèle comme étant absurde par l’immense gaspillage concomitant d’énergie et de matériel. Contre ce système, nous élevons notre protestation : pour abolir le servage qu’il a opéré et qu’il voudrait perpétuer, nous engageons nos meilleurs efforts. »
Sous le titre « Le Socialisme ou Collectivisme comme remède », nous avons indiqué favorablement certains points avantageux, communs aux deux doctrines ; cependant, tout bien considéré, le Nationalisme est tout à fait impraticable, les objections que nous pouvons lui faire étant en général les mêmes que celles que nous avons présentées plus haut contre le Communisme. Bien que le Nationalisme ne menace pas, d’une manière directe comme le Communisme, de détruire la famille, la tendance serait
(P 491) sûrement dans cette direction. Parmi ses défenseurs, se trouvent beaucoup d’âmes libérales, philanthropiques, dont certaines ont aidé, sans espérer d’avantage personnel, à fonder des colonies où les principes du Nationalisme devaient être appliqués comme exemples publics. Certaines de ces colonies ont été des échecs complets, et même celles qui, sur le plan pratique, ont eu du succès, ont été forcées de laisser de côté des principes nationalistes en faisant affaire avec le monde, en dehors de leurs colonies ; comme on pouvait s’y attendre, elles ont toutes eu beaucoup de friction interne.. Si, avec « un seul Seigneur, une seule foi et un seul baptême » les saints de Dieu trouvent difficile de « garder l’unité de l’esprit par le lien de la paix » et ont besoin d’être exhortés à se supporter l’un l’autre dans l’amour, comment pourrait-on espérer que des groupes mixtes, n’ayant aucun esprit semblable pour lien, pourraient réussir à vaincre l’esprit égoïste du monde, la chair et le diable ?
Plusieurs de ces colonies basées sur le Nationalisme ont été fondées et ont échoué au cours des quelques années écoulées, aux Etats-Unis. L’un des échecs les plus connus est celui de la colonie connue sous le nom de Altruria Colony, de Californie, fondée par le Rév. E. B. Payne, sur le principe « Un pour tous et tous pour un ». Elle avait de nombreux avantages sur d’autres colonies en ce qu’elle choisissait ses membres, n’acceptant pas n’importe qui. De plus, elle avait une forme maçonnique de pouvoir absolu. Son fondateur, donnant les raisons de l’échec déclara, dans l’Examiner de San-Francisco, en date du 10 décembre 1896 :
« Altruria n’a pas été un échec complet ; … nous avons démontré que la confiance, la bonne volonté et la sincérité qui prévalurent pour un temps, rendirent la vie communautaire heureuse, et d’un autre côté, que la suspicion, l’envie et des mobiles égoïstes démonisent la nature humaine et ne font pas que la vie mérite d’être vécue. … Nous n’avons pas continué à avoir confiance et à nous considérer les uns les autres comme nous le faisions d’abord, mais nous sommes retombés dans les voies du reste du monde. »
Ce que certaines personnes éprouvent par expérience, d’autres le savent par un raisonnement inductif, basé sur la connaissance de la nature
(P 492) humaine. Quiconque a besoin d’une leçon sur la futilité d’espérer quelque chose de ce genre de source alors que l’égoïsme gouverne toujours le cœur humain, peut obtenir son expérience à meilleur marché en logeant pendant une semaine chacune à trois ou quatre pensions de famille de seconde classe.
L’ENSEIGNEMENT GÉNÉRAL DE LA MÉCANIQUE COMME REMÈDE
Il y a quelques années, dans The Forum, parut un article écrit par M. Henry Holt, dans lequel il essayait de montrer que l’enseignement devrait être surtout industriel, afin de rendre un technicien capable de passer d’un travail à un autre, autrement dit il devrait « apprendre une douzaine » de Métiers. Si, pour un temps, ceci pourrait bien aider quelques individus, il est clair qu’une telle mesure ne résoudrait pas le problème. Il est déjà assez pénible •que des plâtriers et des maçons puissent avoir du travail alors que des cordonniers et des tisserands chôment, mais quel serait le résultat si ces derniers pouvaient aussi maçonner et plâtrer ? La concurrence serait multipliée dans tous les métiers, si tous les chômeurs pouvaient se disputer les métiers en activité. Cependant, ce monsieur traite bien ces deux vérités au sujet desquelles il est nécessaire d’être enseigné. Il dit :
« La vérité la plus simple des deux est la nécessité inévitable, même si elle est cruelle, de la sélection naturelle. Je ne dis pas sa justice, car la Nature ignore totalement la justice. Ses forces et ses lois frappent impitoyablement et sans relâche sous forme de conditions difficiles, mais après tout, elles font sortir de ces conditions le meilleur de ce qu’elles peuvent donner. Il est vrai qu’elle a développé en nous une intelligence pour diriger un peu sa course, et c’est en employant cette intelligence que la fonction de la justice se présente à notre considération_ Cependant, nous ne pouvons diriger la Nature que dans des canaux adaptés à ses propres courants, sinon nous sommes submergés. Or, aucun de ses canaux n’est plus large ni plus clairement indiqué que celui de la Sélection naturelle, et dans l’exercice de nos quelques libertés et privilèges, nous ne sommes jamais aussi sages que lorsque nous agissons en accord avec la sélection naturelle… Nous sommes extrêmement plus aptes à préférer les démagogues, et alors nous souffrons. Le Socialisme propose d’étendre le danger de cette souffrance dans le champ de
(P 493) la production. Actuellement, les grands industriels sont choisis simplement par la sélection naturelle — au moins avec une irrégularité très modérée dans l’action de l’hérédité, irrégularité qui se dissipe rapidement : si le fils n’hérite pas des aptitudes requises, il cesse bientôt de survivre. Mais avec la liberté croissante de la concurrence, et des facilités croissantes pour des hommes capables sans capitaux, d’en obtenir, il est réellement vrai que l’industrie est maintenant dirigée par une sélection naturelle. A celle-ci, le Socialisme propose de substituer une sélection artificielle, et cela par un vote populaire. Une connaissance générale de la supériorité de la méthode naturelle guérirait de cette folie.
« L’autre vérité, si difficile à communiquer clairement, mais dont n n’est pas impossible de donner une certaine compréhension, est la plus importante. Cela est difficile non pas parce qu’elle exige une instruction préparatoire mais plutôt parce que le dogme la combat depuis des milliers d’années, et la combat encore. A la plupart de ceux qui lisent ceci, chacune de ces affirmations paraîtra probablement étrange, quand cette vérité sera désignée sous l’appellation familière : « Le règne universel de la Loi ». Pourtant, c’est un fait qu’une foule d’hommes qui s’imaginent croire en cette vérité, prient chaque jour pour qu’elle ne soit pas vraie, c’est-à-dire pour qu’elle comporte des exceptions en leur faveur. D’une manière générale, les gens, les législateurs, en matière de physiologie, enverraient chercher un docteur ; ou bien, en matière de mécanisme, demanderaient un mécanicien ; ou un chimiste pour une question de chimie, et suivraient son avis avec une foi enfantine, mais en matière d’économie politique, ils ne veulent aucune autre opinion que la leur. Ils n’ont aucune idée que ces matières, comme des matières physiques, sont sous l’influence de lois naturelles ; que pour trouver ces lois, ou pour apprendre celles déjà trouvées, il est nécessaire de se livrer à une étude spéciale, et qu’aller à leur encontre par ignorance doit conduire à la catastrophe aussi fatalement que -de le faire volontairement…
« Dès lors, l’ouvrier a besoin, non seulement de recevoir une instruction concernant sa profession et certains faits économiques, mais également le genre d’instruction en science et en histoire qui lui donnera une certaine conception de la Loi naturelle. Sur le fondement ainsi fourni, on pourrait édifier quelque notion sur le moyen de s’en servir tant dans le domaine social que dans le domaine matériel ; on pourrait également faire comprendre que la loi humaine est futile, ou pire, si elle ne se conforme pas à la Loi naturelle grâce à une étude sérieuse et une expérience prudente. Par suite, on aurait la conviction qu’aucune loi humaine ne saurait faire survivre les incapables, sauf aux
(P 494) dépens de quelqu’un d’autre, et que le seul moyen de leur permettre de se maintenir à leurs propres dépens est de leur donner de la capacité. »
Il est bien que tous apprennent que ces deux lois dominent dans notre organisation sociale actuelle et qu’il n’est pas dans le pouvoir de l’homme de changer la nature ou des lois de la nature ; que, par conséquent, il lui est impossible d’obtenir autre chose qu’une légère modification des conditions sociales actuelles, et qu’une Il légère amélioration temporaire. Les lois nouvelles et plus désirables nécessaires à la société parfaite, idéale, exigeront des puissances surnaturelles pour être introduites. Cette leçon, retenue, aidera à produire (au lieu d’un mécontentement qui s’aggrave) « la piété avec le contentement », tout en attendant le Royaume ‘de Dieu et en priant : « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».
L’IMPÔT FONCIER COMME REMÈDE
C’est sans doute parce qu’il discerna les effets du Communisme, du Nationalisme et du Socialisme, comme cela a été montré plus haut, que M. Henry George imagina un plan de quelque mérite, connu sous l’appellation de Doctrine de l’impôt foncier. On peut dire que, par certains côtés, elle est l’opposé du Socialisme. Elle présente de nombreuses caractéristiques importantes de l’Individualisme. Elle laisse l’individu aux ressources de son propre caractère, de ses efforts personnels et de son entourage, sauf qu’elle préserverait à chacun un droit inaliénable de participation aux bienfaits du Créateur pour tous : l’air, l’eau et la terre. Elle propose très peu de changements directs à l’organisation sociale. Affirmant que les inégalités actuelles de fortune, pour autant qu’elles sont tyranniques et malfaisantes, sont entièrement le résultat de la possession privée de la terre, la doctrine propose que toutes les terres deviennent une fois de plus la propriété de la race d’Adam comme un tout ; elle prétend que tous les maux de notre système social se corrigeraient rapidement d’eux-mêmes. Elle propose que cette redistribution de la terre
(P 495) se fasse, non pas en la partageant proportionnellement entre la famille humaine, mais en la considérant toute comme une immense propriété unique, et en permettant à chaque personne en tant qu’habitant d’en employer autant qu’elle peut choisir de ce qu’elle possède, et de percevoir un impôt foncier ou une location de chaque occupant, proportionnellement à la valeur du terrain (à part de la valeur, de ses bâtiments ou autres embellissements). Ainsi, une parcelle de terrain inoccupée serait frappée d’un impôt aussi lourd qu’une autre parcelle voisine bâtie, et un champ en friche autant que le champ voisin en plein rapport. L’impôt ainsi levé constituerait un fonds -qui servirait pour le bien-être général : pour les écoles, les rues, les routes, l’eau, etc., et pour le gouvernement local et pour le gouvernement général, d’où le nom de cette doctrine l’impôt unique, ou foncier.
Le résultat serait, bien entendu, d’ouvrir à une occupation réelle des milliers de terrains en ville et des champs improductifs détenus à des fins spéculatives. Tous les impôts étant réduits à un impôt unique, tous les impôts actuels frappant le bétail, les machines, les affaires et les améliorations de toutes sortes étant supprimés et concentrés sur les terrains feraient de l’impôt foncier une chose très importante mais graduée de façon à ne pas montrer de favoritisme ; les terres pauvres ou éloignées des routes seraient moins imposées en proportion que des terres meilleures et que celles proches des moyens de transport. D’une manière analogue, les terrains urbains seraient imposés selon la valeur, l’emplacement et les environs.
. Pareille loi, rendue applicable dix années après son vote, aurait immédiatement pour effet de diminuer les valeurs foncières, et au moment où elle entrerait en vigueur, des millions d’ « acres » [1 acre = 40,46 ares environ] et des milliers de terrains urbains seraient accessibles à quiconque pourrait s’en servir et payer les impôts fixés. M. Henry George profita du fait que le pape Léon XIII avait fait une encyclique sur le Travail, pour publier en réplique un pamphlet intitulé « Lettre ouverte au pape Léon XIII », etc. Comme ce pamphlet renferme quelques bonnes pensées en rapport avec nos sujets, et qu’il complète
(P 496) la doctrine en discussion, nous en citons de larges extraits :
EXTRAIT D’UNE LETTRE OUVERTE DE M. HENRY GEORGE
AU PAPE LÉON XIII,
EN RÉPONSE A L’ENCYCLIQUE DE CE DERNIER
SUR LA QUESTION EMBARRASSANTE DU TRAVAIL
« Il nous semble que votre Sainteté manque de trouver la réelle signification de cette question lorsqu’elle donne à entendre que Christ, en devenant le fils d’un charpentier et en travaillant lui-même comme charpentier, montra simplement « qu’il n’y a pas à avoir honte de chercher son pain en travaillant ». Dire cela c’est presque dire qu’en ne volant pas les gens, il montra qu’il n’y a pas à avoir honte d’être honnête ! Si vous voulez convenir combien, d’un point de vue général, est conforme à la vérité la classification de tous les hommes en travailleurs, mendiants et voleurs, vous verrez qu’il était moralement impossible que Christ, durant son séjour sur terre, eût pu être autre chose qu’un travailleur, étant donné que celui qui vint pour accomplir la loi devait dans les actes aussi bien que dans les paroles, obéir à la loi divine du travail.
« Voyez de quelle façon parfaite et admirable la vie de Christ sur terre a illustré cette loi. Quand, dans la faiblesse de l’enfance, il commença notre vie terrestre comme nous sommes tous appelés à le faire, Il reçut avec amour ce qui, dans l’ordre naturel, est donné avec amour, savoir la nourriture acquise par le travail qu’une génération doit à ses successeurs immédiats. Devenu adulte, il gagna sa propre subsistance par ce travail ordinaire grâce auquel la majorité des hommes doivent la gagner et la gagnent. Ensuite, passant à une sphère supérieure, très supérieure de travail, il gagna sa subsistance en enseignant des vérités morales et spirituelles, en recevant le salaire matériel dans les offrandes faites par amour de la part d’auditeurs reconnaissants, et en ne refusant pas le nard de grand prix avec lequel Marie oignit ses pieds. Aussi, quand il choisit ses disciples, il n’alla pas vers les propriétaires terriens ou d’autres accapareurs, mais vers d’humbles travailleurs. Et lorsqu’il les appela à une sphère de travail supérieure et qu’il les envoya enseigner des vérités morales et spirituelles, il leur dit d’accepter, sans condescendance d’une part,
(P 497) ou sans se sentir déshonoré d’autre part, ce qu’on leur donnerait affectueusement pour un tel travail, leur disant que « l’ouvrier est digne de son salaire », montrant ainsi, comme nous le soutenons, que tout travail ne consiste pas en ce qu’on appelle le travail manuel, mais que quiconque aide à augmenter la plénitude de vie matérielle, intellectuelle, morale et spirituelle est également un travailleur (« On ne doit pas oublier non plus que le chercheur, le philosophe, l’instituteur ou le professeur, l’artiste, le poète, le prêtre, bien que non engagés dans la production de richesses, sont non seulement occupés l, produire des choses utiles et des satisfactions pour lesquelles la production de richesses n’est seulement qu’un moyen mais en acquérant le savoir et en le diffusant, en stimulant les facultés mentales et en élevant le sens moral, ils peuvent accroître grandement la capacité de produire la richesse. Car l’homme ne vit pas seulement de pain… Celui qui, par n’importe quel exercice de l’esprit ou du corps, augmente la masse de richesses dont on peut jouir, accroît la somme de savoir humain, ou donne à la vie humaine une plus grande élévation ou une plus grande plénitude, celui-là est, dans le sens large des termes, un « producteur », un « ouvrier “, un « travailleur ‘, et il gagne loyalement un salaire honnête. Mais celui qui sans rien faire pour rendre l’humanité plus riche, plus sage, meilleure, plus heureuse, vit sur le labeur des autres, celui-là, quel que soit le titre honorifique qu’il porte ou quelle que soit la vigueur avec laquelle Ies prêtres de Mammon peuvent balancer leurs encensoirs devant lui, n’est, en. dernière analyse, qu’un mendiant ou un voleur. »).
« En admettant que des ouvriers, précisément des travailleurs manuels ordinaires, sont naturellement pauvres, vous ignorez le fait que le travail est le producteur de richesse, et vous attribuez à la loi naturelle du. Créateur une injustice qui provient de la violation impie par l’homme de la bienveillante intention divine. Dans l’état le plus primitif des techniques, il est possible, là où prévaut la justice, à tous les hommes valides de gagner leur vie. Avec les instruments de notre temps qui économisent la main-d’œuvre, il devrait être possible à tous de gagner davantage. Ainsi, en déclarant que la pauvreté n’est pas une honte, vous exprimez une implication déraisonnable. Car la pauvreté devrait être une honte, parce que dans une condition de justice sociale, la pauvreté non imposée par une malchance inévitable, impliquerait l’insouciance ou la paresse.
« La sympathie de votre Sainteté semble s’adresser exclusivement aux pauvres, aux travailleurs. Cela devrait-il être ainsi ? Ne devrait-on pas avoir pitié également des riches oisifs ? D’après l’Evangile, ce sont les riches plutôt que les pauvres qui sont à plaindre. A quiconque croit en une vie future, la condition de celui qui se réveille pour trouver que les millions qu’il chérissait ont été abandonnés à sa mort, doit paraître digne de compassion. Pourtant, même dans la vie présente, combien les riches sont vraiment pitoyables. Le mal n’est pas dans la richesse elle-même —
(P 498) dans sa domination sur les choses matérielles ; il est dans la possession de richesses tandis que d’autres sont plongés dans la pauvreté ‘ • il est dans le fait que son possesseur est au-dessus de tout contact avec la vie de l’humanité, de son travail et de ses luttes, de ses espérances et de ses craintes, et pardessus tout, de l’amour qui adoucit la vie, des sympathies bienveillantes et des actes généreux qui fortifient la foi en l’homme et la confiance en Dieu. Remarquez comment les riches voient le côté mesquin de la nature humaine ; comment ils sont entourés de flatteurs et de parasites ; comment ils trouvent des instruments prêts non seulement à assouvir leurs méchantes impulsions, mais encore à les inspirer et à les stimuler ; comment ils doivent être constamment sur leurs gardes de peur d’être escroqués ; comment ils doivent souvent soupçonner une arrière-pensée derrière une bonne action ou une parole amicale ; comment, s’ils essaient d’être généreux, ils sont assaillis par des mendiants impudents et des imposteurs intrigants ; comment les affections de famille, sont souvent froides à leur égard, et leur mort anticipée avec une joie mal dissimulée dans l’attente de posséder leurs richesses. Le pire mal de la pauvreté n’est pas dans le désir des choses matérielles, mais dans l’arrêt de la croissance des plus hautes qualités et leur déformation. De même, bien que d’une autre manière, la possession de richesses imméritées empêche ce qu’il y a de plus noble dans l’homme de se développer et le déforme.
« On ne peut pas échapper impunément aux commandements de Dieu. Si Dieu a commandé que les hommes doivent gagner leur pain par le travail, les riches oisifs doivent souffrir. Et ils souffrent. Voyez le désœuvrement absolu de ceux qui vivent pour le plaisir ; voyez les vices odieux engendrés dans une classe qui, entourée par la pauvreté, est repue de richesses. Voyez ce terrible châtiment de l’ennui que les pauvres connaissent si peu qu’ils ne peuvent pas le comprendre ; voyez le pessimisme qui croît parmi les classes riches, qui exclut Dieu, qui méprise les hommes, qui considère l’existence en elle-même comme un mal, et qui, craignant la mort, aspire cependant à l’anéantissement.
« Lorsque Christ dit au jeune homme riche qui le cherchait, de vendre tout ce qu’il avait et de le donner aux pauvres, ce n’est pas aux pauvres qu’il pensait, mais au jeune homme. Et ‘je ne doute pas que, parmi les riches et spécialement ceux qui sont parvenus à la richesse, il s’en trouve beaucoup qui, parfois, du moins, sentent amèrement la folie de leurs richesses et craignen4 les dangers et les tentations auxquels ces richesses exposent leurs enfants. Mais la force d’une longue habitude, les suggestions de l’orgueil, l’excitation de gagner et de maintenir, ce qui est devenu pour eux
(P 499) comme les jetons d’un jeu de cartes, les demandes de la famille qui ont pris le caractère de droits, et la difficulté réelle qu’ils éprouvent à faire un bon usage quelconque de , leur richesse, les enchaînent à leur fardeau comme un âne fatigué sous le bât, jusqu’à ce qu’ils trébuchent dans le précipice qui limite cette vie.
« Les hommes qui sont certains d’avoir la nourriture quand ils en auront besoin, ne mangent que selon leur appétit. Mais pour les tribus clairsemées qui existent à la limite des terres habitées, la vie est soit une famine, soit un festin. Supportant la faim pendant des jours, la crainte de manquer les pousse à se gorger comme des anacondas quand ils ont réussi à trouver du gibier. Et ainsi, ce qui donne à la richesse sa malédiction est ce qui amène les hommes à la rechercher, ce qui la fait tant enviée et, admirée : la crainte de manquer. De même que les trop riches sont le corollaire des trop pauvres, ainsi ce qui, chez les riches, détruit l’âme n’est que le réflexe de l’indigence qui abrutit et dégrade. Le mal véritable se trouve dans “injustice d’où proviennent tant la possession anormale que la privation anormale.
« Pourtant, on peut difficilement accuser des individus ou des choses de cette injustice. L’existence de la propriété foncière privée est un grand mal social dont souffre la société en général, et dont les très riches et les très pauvres sont également des victimes, bien qu’aux extrêmes opposés. Etant donné ceci, il nous semble comme une violation de la charité chrétienne de parler des riches comme s’ils étaient individuellement responsables des souffrances des pauvres. Pourtant, tout en faisant cela, vous insistez en disant qu’on ne doit pas toucher à la cause d’une richesse monstrueuse et d’une pauvreté dégradante. Voici un homme portant une excroissance dangereuse et qui le défigure. Un médecin dit avec bonté, avec bienveillance, mais avec fermeté qu’il voudrait l’enlever. Un autre docteur insiste pour qu’on ne l’enlève pas, mais dans le même temps expose la victime à l’aversion et au ridicule. Lequel des deux médecins a raison ?
En cherchant à rétablir tous les hommes dans leurs droits égaux et naturels, nous ne cherchons pas le bien d’une classe, mais de toutes, car nous savons par la foi et nous le voyons par les faits, que l’injustice ne peut profiter à personne et que la justice doit profiter à tous.
Nous ne cherchons pas non plus une, « égalité futile et ridicule » quelconque… L’égalité que’ nous voudrions apporter n’est pas l’égalité de fortune, mais l’égalité des chances qui s’offrent naturellement…
En prenant, pour les usages de la société, ce qui, nous le voyons clairement, est le grand fonds que l’ordre divin a destiné à la société, nous ne lèverions pas le moindre impôt sur les possesseurs
(P 500) de richesses, quelle que soit l’étendue de ces richesses. Non seulement nous estimons que de tels impôts sont une violation du droit de la propriété, mais nous voyons que, en vertu des magnifiques adaptations dans les lois économiques du Créateur, il est impossible pour quiconque d’acquérir honnêtement la richesse sans augmenter en même temps la richesse du monde…
« Dans l’Encyclique, votre Sainteté donne un exemple de cela. Déniant l’égalité de droit au fondement matériel de la vie, et conscient cependant qu’il y a un droit de vivre, vous revendiquez le droit des travailleurs à l’emploi, et leur droit de recevoir de leurs employeurs un certain salaire indéfini. Aucun de ces droits n’existe. Personne n’a le droit d’exiger qu’un autre l’emploie, ou d’exiger un salaire plus élevé .que celui que l’autre consent à lui donner, ou en aucune manière de faire pression sur un autre pour l’obliger, contre sa volonté, d’augmenter ce salaire. Il ne , peut y avoir aucune meilleure justification morale à de telles exigences de la part des ouvriers à l’encontre des employeurs qu’il n’y en aurait de la part des employeurs d’exiger que des ouvriers soient obligés de travailler pour eux quand ils ne le veulent pas et d’accepter un salaire inférieur à celui qu’ils désirent recevoir. Toute prétendue justification provient d’une injustice antérieure, le refus aux ouvriers de leurs droits naturels…
« Christ a justifié David qui, pressé par la faim, commit ce qui, ordinairement, eût été un sacrilège, en prenant du temple les pains de proposition. Mais en faisant cela, Christ était loin de dire que dévaliser des temples était un moyen convenable de gagner sa vie.
Dans l’Encyclique, cependant, vous recommandez l’application aux rapports ordinaires de la vie, dans des conditions normales, de principes qui, dans la morale, ne doivent être que tolérés dans des conditions extraordinaires. Vous êtes amené à cette revendication de faux droits par, votre refus des vrais droits. Le droit naturel que chaque homme a n’est pas celui d’exiger un emploi ou un salaire d’un autre homme, c’est celui de s’employer lui-même, celui de donner toute son attention, par son propre travail au dépôt inépuisable que le Créateur a pourvu pour tous les hommes, la terre (ici, le terrain à bâtir ou à cultiver — Trad.). Si ce dépôt était ouvert, comme nous voudrions l’ouvrir grâce à l’impôt unique, l’exigence naturelle d’avoir du travail suivrait l’offre, l’homme qui vendait son travail et l’homme qui l’achetait feraient désormais un libre échange à leur avantage mutuel, et toute cause de querelle entre
(P 501) ouvrier et employeur disparaîtrait. Dès lors, tous étant libres de s’employer eux-mêmes, la pure et simple occasion de travailler cesserait de paraître une faveur, et comme personne ne voudrait travailler, toutes choses considérées, pour moins qu’il pourrait gagner en travaillant pour lui-même, les salaires monteraient à leur pleine valeur, et les rapports entre ouvrier et employeur seraient réglés par l’intérêt et la convenance mutuels.
C’est de cette seule manière que ces rapports peuvent être réglés à la satisfaction de tous.
Votre Sainteté paraît supposer qu’il y a un certain juste taux de salaire que les employeurs devraient consentir à payer et que les ouvriers devraient être contents de recevoir, et imaginer que si cela se réalisait, ce serait la fin de toute lutte. Ce taux, vous pensez évidemment qu’il pourrait donner aux ouvriers une existence sobre, et qu’il leur permettrait peut-être, par un rude travail et une stricte économie, de mettre un petit quelque chose de côté.
Mais comment peut-on fixer un juste taux des salaires sans le « marchandage habituel » plus qu’on ne peut le faire pour le juste prix du blé ou des porcs ou des navires ou des peintures ? Et une réglementation arbitraire, dans l’un comme. dans l’autre cas, ne mettrait-elle pas en échec ce jeu combiné qui favorise d’une manière la plus effective l’ajustement économique des forces productives ? Pourquoi des acheteurs de travail, pas plus que des acheteurs de produits, devraient-ils être obligés de payer des prix plus élevés que dans un marché libre ? Pourquoi ceux qui vendent le travail devraient-ils se contenter de recevoir des prix inférieurs à ceux qu’ils peuvent obtenir dans un marché libre ? Pourquoi des ouvriers devraient-ils se contenter d’une nourriture frugale quand le monde est si riche ? Pourquoi devraient-ils se satisfaire de toute une vie de labeur et de restriction quand le monde est si plein de ressources ? Pourquoi ne devraient-ils pas, eux aussi, désirer satisfaire les instincts supérieurs, les goûts plus raffinés ? Pourquoi devraient-ils à jamais se contenter de voyager en seconde classe quand d’autres trouvent la première plus agréable ?
Ils ne le feront d’ailleurs pas. L’effervescence de notre époque ne vient pas purement et simplement du fait que les ouvriers trouvent plus pénible de vivre au même niveau de confort. Elle est également due, et peut-être plus -grandement encore, à l’augmentation de leurs désirs d’avoir un niveau amélioré de confort. Cette augmentation ‘de désir doit continuer, car les ouvriers sont des hommes, et l’homme est un animal inassouvi.
L’homme n’est pas un bœuf dont on pourrait dire : tant
(P 502) d’herbe, tant de grain, tant d’eau, et un peu de set, et il sera content. Plus l’homme reçoit, plus il désire ardemment. Quand il a suffisamment de nourriture, alors il désire une nourriture meilleure. Quand il obtient un abri, alors il en veut un autre plus commode et plus élégant. Quand ses besoins naturels sont satisfaits, alors naissent des désirs mentaux et spirituels.
Ce mécontentement incessant fait partie de la nature de l’homme, de cette nature plus noble qui l’élève au-dessus des animaux par un abîme aussi incommensurable, et montre qu’il est vraiment créé à la ressemblance de Dieu. On ,ne doit pas trouver à redire à ce mécontentement, car il est le moteur de tout progrès. C’est cela qui a dressé le dôme de Saint-Pierre, et qui, sur une toile terne et sans vie, a fait rayonner le visage angélique de la Madone ; c’est cela qui a pesé des ,soleils, analysé des étoiles et ouvert page par page les œuvres merveilleuses de l’intelligence créatrice ; c’est cela qui a rétréci l’Atlantique jusqu’à en faire une traversée de l’océan en bac et a domestiqué l’éclair pour transporter nos messages dans les contrées les plus reculées ; c’est cela qui ouvre devant nous des possibilités en comparaison desquelles tout ce que notre civilisation moderne a accompli jusqu’ici paraît petit. On ne pourrait pas le réprimer non plus sinon en avilissant et en abrutissant les hommes, en faisant de l’Europe une autre Asie.
En conséquence, jusqu’à ce qu’on atteigne un salaire qui peut être gagné quand toutes les restrictions sur le travail sont levées, et qu’on assure à tous l’accès aux opportunités naturelles sur un pied d’égalité, il est impossible de fixer un taux quelconque de salaires qui sera estimé juste, ou un taux quelconque de salaires qui puisse éviter aux ouvriers de lutter pour gagner davantage. Loin que cela rende les ouvriers plus contents d’améliorer un peu leur condition, cela les rendra certainement plus mécontents encore.
Vous ne demandez pas non plus la justice, lorsque vous invitez les employeurs à payer à leurs ouvriers plus qu’ils ne sont obligés de le faire, plus qu’ils ne pourraient en obliger d’autres à faire le travail pour ce salaire. Vous demandez la charité, car le surplus que le riche employeur donne de cette manière n’est pas en réalité un salaire, c’est essentiellement une aumône.
En parlant des mesures pratiques pour l’amélioration de la condition du travail que votre Sainteté suggère, je n’ai pas mentionné ce sur quoi vous mettez beaucoup d’insistance, la charité. Il n’y a pourtant rien de pratique dans de telles recommandations pour remédier à la pauvreté, et personne ne voudra non plus les considérer comme l’étant. S’il était possible de supprimer la pauvreté en faisant des aumônes, il n’y aurait plus de pauvreté dans la chrétienté.
(P 503)
La charité est vraiment une noble et belle vertu, agréable pour l’homme et approuvée de Dieu. Mais la charité doit être édifiée sur la justice. Elle ne peut pas supplanter la justice.
Ce qui est mal dans la condition du travail à travers le monde chrétien, c’est que le travail est frustré en partie. Aussi longtemps que vous justifiez la continuation de cette frustration, il est vain de recommander la charité. Le faire, recommander la charité pour remplacer la justice, c’est en vérité quelque chose de semblable en essence à ces hérésies, condamnées par vos prédécesseurs, qui enseignaient que l’évangile avait supplanté la loi, et que l’amour de Dieu exemptait les hommes des obligations morales.
« Tout ce que la charité peut faire où l’injustice existe est, ici et là, d’adoucir quelque peu les effets de l’injustice. Elle ne peut pas y porter remède. Et même le peu qu’elle peut faire pour adoucir les effets de l’injustice n’est-il pas exempt de mal ; en effet, ce qu’on peut appeler ici les vertus superposées, comme dans ce sens, des vertus secondaires, produisent du mal lorsque sont absentes les vertus fondamentales ou primaires. Ainsi, la sobriété est une vertu, et la diligence est une vertu. Pourtant un voleur sobre et diligent est d’autant plus dangereux. De même la patience est une vertu. Mais exercer la patience devant le mal, c’est fermer les yeux sur le mal. Ainsi, c’est une vertu de rechercher la connaissance et de s’efforcer de cultiver ses facultés mentales. Mais l’homme méchant devient plus capable de faire le mal à cause de son intelligence. En pensant à des démons, nous pensons toujours à des êtres intelligents.
« C’est ainsi que la pseudo-charité qui rejette et refuse d’accorder la justice produit du mal. D’un côté, elle démoralise ceux qui la reçoivent en outrageant cette dignité humaine que, selon vos paroles, « Dieu lui-même traite avec respect » ; elle transforme en mendiants et en indigents des hommes qui, pour devenir des citoyens qui subviennent à eux-mêmes et se respectent, n’ont seulement besoin qu’on leur rende ce que Dieu leur a donné. D’un autre côté, elle agit comme un calmant sur la conscience de ceux qui vivent en volant leur prochain, et nourrit cette illusion morale et cet orgueil spirituel que Christ avait sans doute à l’esprit lorsqu’il déclara qu’il est plus facile pour un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Car elle conduit les hommes, plongés dans l’injustice, employant leur argent et leur influence à soutenir l’injustice, à penser qu’en faisant l’aumône, ils font quelque chose de plus que ce qu’ils doivent à l’homme et méritent l’approbation de Dieu, et d’une manière vague à attribuer à leur bonté personnelle ce qui,
(P 504) en réalité, appartient à la bonté de Dieu. Car, réfléchissez : quel est Celui qui pourvoit à tout ? Quel est Celui qui, comme vous dites, « doit à l’homme un dépôt qui ne manquera jamais » et qu’ « il trouve seulement dans la fertilité inépuisable de la terre » ? N’est-ce pas Dieu ? Et donc, quand des hommes privés de la libéralité de Dieu, dépendent de celle de leurs semblables, ces créatures ne se mettent-elles pas, pour ainsi dire, à la place de Dieu pour s’attribuer à elles-mêmes l’acquittement d’obligations qui, selon vous, reviennent à Dieu ?
Mais ce qui est peut-être pire que tout autre chose. c’est la manière dans laquelle cette substitution de vagues injonctions à la charité au lieu d’exigences précises de la justice découvre un moyen facile pour les soi-disant professeurs de la religion chrétienne de toutes les branches et confessions, d’apaiser Mammon tout en se persuadant qu’ils sont en train de servir Dieu.
Non, votre Sainteté, comme la foi sans des œuvres est morte, comme les hommes ne peuvent donner à Dieu son dû tout en refusant à leur prochain les droits qu’il lui a donnés, ainsi la charité, non basée sur la justice, ne peut rien faire pour résoudre le problème de la condition du travail qui existe maintenant. Même si les riches allaient jusqu’à « distribuer tous leurs biens afin de nourrir les pauvres, et livrer leurs corps pour être brûlés », la pauvreté persisterait ainsi que la propriété foncière.
Prenez le cas d’un homme riche d’aujourd’hui qui est honnêtement désireux de consacrer sa fortune pour améliorer la condition du travail. Que peut-il faire ?
Consacrer sa fortune à ceux qui en ont besoin ? Il peut en aider certains qui le méritent, mais il n’améliorera pas les conditions générales, et contre le bien qu’il peut faire, il y aura le danger de causer du tort.
Bâtir des églises ? C’est à l’ombre des églises que la pauvreté se corrompt, et le vice qui en résulte se répand.
Bâtir des écoles et des collèges ? Sauf que cela peut amener les hommes à discerner l’iniquité de la propriété foncière privée, l’augmentation de l’instruction ne peut rien accomplir pour de simples ouvriers, car au fur et à mesure que se répand l’instruction, la rétribution de l’instruction diminue.
Fonder des hôpitaux ? Eh bien ! Il apparaît déjà aux ouvriers qu’il y a trop de gens qui cherchent du travail, et que sauver et prolonger la vie ne fait qu’ajouter à la pression.
Construire des habitations modèles ? A moins de diminuer le prix de revient des installations, il ne fera qu’en écarter la classe qu’il voudrait
(P 505) avantager, et s’il diminue le prix de revient des installations, il en amène davantage à chercher du travail et il réduit les salaires.
Installer des laboratoires, des écoles scientifiques, des usines pour des expériences physiques ? Il le fait que stimuler l’invention et la découverte, ces forces mêmes qui, agissant sur une société basée sur la propriété foncière privée, sont en train d’écraser le travail comme entre la meule supérieure et la meule inférieure.
Favoriser l’émigration des pays où les salaires sont bas vers les pays où les salaires sont quelque peu supérieurs ? S’il le fait, même ceux qu’il a d’abord aidés à émigrer se tourneront bientôt vers lui pour exiger qu’une telle émigration cesse parce qu’elle réduit leur salaire.
« Abandonner ce qu’il peut posséder de terre, ou refuser le loyer qu’il pourrait en recevoir, ou la louer moins chère que le prix du marché ? Il fera purement et simplement de nouveaux propriétaires fonciers ou des propriétaires fonciers partiels ; il peut enrichir certains individus, mais il ne fera rien pour améliorer la condition générale du travail.
« Ou bien, se souvenant de ces citoyens d’antan, dévoués à la chose publique, qui dépensaient d’énormes sommes pour embellir leurs cités natales, essaiera-t-il d’embellir la ville de sa naissance ou sa ville d’adoption ? Qu’il élargisse et redresse des rues étroites et tortueuses, qu’il construise des parcs et édifie des fontaines, qu’il installe des tramways et des voies ferrées, ou que de toutes autres façons, il rende sa ville préférée belle et attrayante, et quel en sera le résultat ? Ceux qui s’approprient la libéralité de Dieu, ne faut-il pas que ce soit eux également qui s’approprient la libéralité du mécène ? Cela n’occasionnera-t-il pas une hausse de la valeur du terrain, et le résultat net de ses bienfaits ne sera-t-il pas une augmentation des loyers et une libéralité aux propriétaires fonciers ? Voyons ! Le simple fait d’annoncer qu’il est sur le point de faire ces choses provoquera la spéculation et fera monter la valeur du terrain, à une vitesse surprenante.
« Alors, l’homme riche peut-il améliorer la condition du travail ?
« Il ne peut rien faire du tout sauf d’employer sa force pour abolir la première grande injustice qui frustre les hommes de leur droit de naissance. La justice de Dieu se moque des tentatives que font les hommes de lui substituer autre chose. »
* * *
Tandis que, dans un cadre étroit, le trade-unionisme favorise l’idée de la réciprocité des intérêts, et aide souvent
(P 506) à exciter le courage et à augmenter l’instruction politique, et tandis qu’il a permis à des classes limitées de travailleurs d’améliorer quelque peu leur condition, et à obtenir pour ainsi dire le temps de respirer, cependant il ne remarque pas du tout les. causes générales qui déterminent les conditions de travail, et il lutte pour élever seulement une petite partie du grand corps par des moyens qui ne peuvent aider le reste. Visant à restreindre la concurrence — la limitation du droit au travail — ses méthodes sont comme celles d’une armée, lesquelles même dans une cause juste sont subversives de la liberté, et sujettes aux abus tandis que son arme, la grève, est destructrice dans sa nature à la fois aux combattants et aux non-combattants, étant une forme de guerre passive. Appliquer le principe des trade-unions à toute l’industrie, comme certains rêvent de la faire, serait asservir les hommes dans un système de caste.
« Ou bien, prenez même des mesures modérées telles que la limitation des heures de travail et du travail des femmes et des enfants. Elles sont superficielles parce qu’elles ne considèrent que l’avidité de la part d’hommes, de femmes et d’enfants à travailler indûment, et qu’elles leur proposent par la force de restreindre les heures supplémentaires tout en ignorant totalement la cause de leur surmenage, savoir l’aiguillon de la pauvreté qui y oblige des êtres humains. De plus, les méthodes par lesquelles ces restrictions doivent être appliquées, multiplient les employés, contrarient la liberté personnelle, tendent à la corruption et sont passibles d’abus.
« Quant à l’application générale du socialisme qui doit être le plus honoré comme ayant le courage de ses convictions, elle porterait ces vices à leur pleine expression. Tirant des conclusions hâtives, sans s’efforcer de découvrir les causes, le socialisme ne réussit pas à discerner que l’oppression ne vient pas de la nature du capital, mais de l’injustice qui frustre le capital de son travail en le séparant de la terre, et qui crée un capital fictif lequel est réellement un monopole de capitaux. Il ne réussit pas à comprendre qu’il serait impossible au capital d’opprimer le travail si celui-ci avait libre accès aux matières naturelles de production ; que le système du salaire en lui-même résulte d’un avantage mutuel, étant une forme de coopération dans laquelle l’une des parties préfère un résultat certain à un résultat conditionnel,; et que ce qu’il appelle la « loi de fer du salaire » n’est pas la loi naturelle du salaire, mais seulement la loi du salaire dans cette condition anormale dans laquelle les hommes sont rendus impuissants parce qu’ils sont privés de biens pour la vie et le travail. Il ne réussit pas à comprendre que ce qu’il prend à tort pour les maux de la concurrence sont en réalité ceux de la concurrence limitée ;
(P 507) ils sont dus à une concurrence partielle à laquelle les hommes sont acculés quand ils sont privés de terres tandis que ses méthodes (l’organisation des hommes en des armées industrielles, la direction et le contrôle de toute la production et de l’échange par des bureaux gouvernementaux ou semi-gouvernementaux) si elles étaient appliquées à fond, signifieraient le despotisme égyptien.
« Nous différons des Socialistes dans notre diagnostic du mal, et nous différons d’eux quant aux remèdes. Nous n’aires aucune crainte du capital que nous considérons comme le serviteur naturel du travail ; nous estimons l’intérêt en lui-même comme naturel et juste ; nous ne voulons placer aucune limitation ‘à l’accumulation (de biens), ni imposer aux riches un fardeau quelconque qui ne soit pas placé sur les pauvres ; nous ne voyons aucun mal à la concurrence, mais considérons la concurrence sans restriction comme étant aussi nécessaire à la santé de l’organisme industriel et social que la libre circulation du sang l’est à la santé de l’organisme corporel ; nous la considérons comme étant le moyen par lequel est assurée la pleine coopération. Nous voudrions purement et simplement prendre pour la communauté ce qui lui appartient : la valeur qui s’attache à la terre en raison de la croissance de la communauté ; laisser comme inviolable à l’individu ce qui lui appartient, et en traitant les monopoles nécessaires comme étant des fonctions de l’État, abolir toutes les restrictions et prohibitions sauf celles qui sont nécessaires pour la santé publique, sa sécurité, sa moralité et son bien-être.
« Cependant, la différence fondamentale, la différence que je demande à votre Sainteté de remarquer en particulier réside en ceci : dans toutes ses étapes, le Socialisme considère que tous les maux de notre civilisation proviennent de l’insuffisance ou du défaut d’harmonie des rapports naturels qui doivent être organisés ou améliorés d’une manière artificielle. Dans son idée, il incombe à l’Etat la nécessité d’organiser intelligemment les rapports industriels des hommes, la construction pour ainsi dire d’une grande machine dont les parties compliquées travailleront convenablement ensemble sous la direction de l’intelligence humaine. C’est la raison pour laquelle le socialisme tend vers l’athéisme. Ne réussissant pas à discerner l’ordre et la symétrie de la loi naturelle, il ne réussit pas à reconnaître Dieu.
« D’un autre côté, nous qui nous appelons nous-mêmes les « hommes de l’Impôt unique » (appellation qui exprime simplement nos propositions pratiques), nous voyons dans les rapports sociaux et industriels des hommes, non pas une machine qui reste à construire, mais un organisme qui a besoin seulement qu’on lui permette de grandir. Nous discernons
(P 508) dans les lois naturelles, sociales et industrielles une harmonie telle que nous la discernons dans l’organisation du corps humain, et qui surpasse à un tel degré le pouvoir de l’intelligence humaine d’ordonner et de diriger qu’il est au-dessus de l’intelligence de l’homme d’ordonner et de diriger les mouvements vitaux de son être. Nous discernons dans ces lois sociales et industrielles un rapport si étroit avec la loi morale qu’elles doivent provenir du même Auteur, et cela prouve que la loi morale est le guide sûr de l’homme, là où son intelligence errerait et s’égarerait. Ainsi, pour nous, tout ce qui est nécessaire, pour remédier aux maux de notre temps, c’est de faire justice et de donner la liberté. C’est la raison pour laquelle notre conviction tend à être — bien plus, qu’elle est vraiment — la seule conviction compatible avec une foi ferme et révérente en Dieu, et avec la reconnaissance de sa loi comme étant la loi suprême que les hommes doivent suivre s’ils veulent s’assurer la prospérité et éviter la destruction. C’est la raison pour laquelle, pour nous, l’économie politique ne sert seulement qu’à montrer la profondeur de la sagesse dans les vérités simples que le peuple entendit des lèvres de Celui dont on dit avec étonnement : « Celui-ci n’est-il pas le charpentier de Nazareth ? »
« C’est parce que dans ce que nous proposons — l’obtention par tous les hommes des occasions naturelles égales d’exercer leurs facultés et la suppression de toute restriction légale sur l’exercice légitime de ces facultés — nous discernons l’adaptation de la loi humaine à la loi morale, que nous soutenons avec confiance, non pas purement et simplement que ce soit là le remède suffisant pour tous les maux que vous décrivez d’une manière si frappante, mais que c’est le seul remède possible.
Et il n’y en a aucun autre. L’organisation de l’homme est telle, ses rapports avec le monde dans lequel il est placé-sont tels — c’est-à-dire, les lois immuables de Dieu sont telles — qu’il n’est pas dans le pouvoir de l’ingéniosité humaine d’imaginer un moyen quelconque par lequel les maux provoqués par l’injustice qui frustre les hommes de leur droit de naissance, peuvent être supprimés autrement qu’en faisant justice, en accordant à tous la libéralité que Dieu a pourvue pour tous.
Puisque l’homme peut vivre seulement sur la terre et de (« from ») la terre, puisque la terre est le réservoir de-la matière et de la force duquel le corps lui-même de l’homme a été tiré, et sur lequel il doit puiser pour tout ce qu’il peut produire, ne s’ensuit-il pas d’une manière irrésistible qu’en donnant à certains hommes la terre en propriété et en niant à d’autres tout droit d’en avoir, on arrive ainsi à diviser le genre humain en riches et en
(P 509) pauvres, en privilégiés et en déshérités. Ne s’ensuit-il pas que ceux qui n’ont aucun droit de posséder de la terre ne peuvent vivre qu’en vendant leur pouvoir de travail à ceux qui possèdent la terre ? Ne s’ensuit-il pas que ce que les socialistes appellent « la loi de fer des salaires », ce que les économistes politiques appellent « la tendance des salaires à un minimum » doit enlever aux masses sans terre (les simples ouvriers qui, d’eux-mêmes, n’ont aucun pouvoir d’utiliser leur travail), tous les avantages de n’importe quel progrès ou amélioration qui ne change pas ce partage injuste de la terre ? Car, n’ayant aucun pouvoir de s’employer eux-mêmes, ils doivent, soit comme vendeurs de main-d’œuvre, soit comme fermiers, rivaliser les uns avec les autres pour avoir la permission de travailler. Cette rivalité entre des hommes exclus des réserves inépuisables de Dieu, n’a de limite que la faim, et doit en fin de compte réduire les salaires à leur niveau le plus bas, au point où l’on peut tout juste se maintenir en vie et se reproduire.
Ce n’est pas pour dire que tous les salaires doivent tomber à ce point, mais que les salaires de cette couche nécessairement la plus nombreuse des ouvriers qui n’ont qu’une connaissance, une capacité et une aptitude ordinaires, doivent tomber à ce point. Les salaires des classes spéciales qui sont garanties contre la compétition grâce à une connaissance, à une compétence particulières ou à d’autres causes, peuvent demeurer au-dessus de ce niveau ordinaire. Ainsi, là où la capacité de lire et d’écrire est rare, l’homme qui la possède peut obtenir un salaire plus élevé que l’ouvrier ordinaire. Mais comme la diffusion de l’instruction généralise la capacité de lire et d’écrire, cet avantage est perdu. Ainsi lorsqu’une vocation exige une éducation ou une habileté spéciales, ou que son accès soit rendu difficile par des restrictions artificielles, le frein de la concurrence tend à conserver les salaires dans cette vocation à un niveau supérieur. Et ainsi, ce n’est qu’aussi longtemps qu’elles sont spéciales que des •qualités comme l’activité, la prudence et l’économie peuvent permettre à l’ouvrier ordinaire de maintenir une condition plus élevée que celle qui accorde une existence purement et simplement. Là où ces qualités deviennent générales, la loi de la concurrence doit réduire les salaires ou les économies de telles qualités au niveau général ; la terre étant monopolisée et le travail impuissant, ce niveau ne peut être que celui au-dessous duquel on cesse de vivre.
Ou, pour dire la même chose d’une autre manière : la terre étant
(P 510) nécessaire pour la vie et le travail, ses possesseurs pourront, en échange de la permission qu’ils donnent de s’en servir, obtenir des simples ouvriers tout ce que le travail peut produire, à part ce qu’il faut pour maintenir en vie ceux d’entre eux qui sont nécessaires aux propriétaires fonciers et à leurs familles.
Ainsi, là où la propriété foncière privée a divisé la société en une classe possédant la terre et en une autre n’en possédant pas, il n’y a aucune invention (ou amélioration) possible soit industrielle, sociale ou morale, qui aussi longtemps qu’elle n’affecte pas la possession de la terre, puisse empêcher la pauvreté ou relever la condition générale des simples ouvriers. Car, qu’une invention (ou amélioration) quelconque ait pour effet d’augmenter la production du travail ou de diminuer ce qu’il faut pour soutenir le travailleur, elle ne peut, aussitôt qu’elle se généralise, qu’augmenter le revenu des propriétaires fonciers, sans avantager en rien les simples ouvriers. En aucun cas, ceux qui possèdent purement et simplement le pouvoir ordinaire de travailler, pouvoir complètement inutile sans les moyens nécessaires au travail, ne peuvent tirer de leur salaire que ce qui leur permet tout juste de vivre.
Nous pouvons voir combien cela est vrai dans les faits d’aujourd’hui. A notre époque, l’invention et la découverte ont augmenté considérablement le pouvoir producteur du travail, et en même temps réduit grandement le coût de beaucoup de choses nécessaires à l’entretien du travailleur. Ces améliorations ont-elles, quelque part, augmenté le salaire du simple ouvrier ? Les bénéfices ne sont-ils pas allés surtout aux propriétaires de la terre ? N’ont-ils pas augmenté considérablement la valeur foncière ?
Je dis « surtout », car une certaine partie est allée pour financer l’entretien de monstrueuses armées permanentes et les préparatifs de guerre ; une autre est allée pour payer l’intérêt des grandes dettes publiques ; une autre, grandement déguisée en intérêts d’un capital fictif, est allée aux possesseurs de monopoles autres que celui de la terre. Cependant, des améliorations qui supprimeraient ce gaspillage ne profiteraient pas au travail ; ils augmenteraient simplement les profits des propriétaires fonciers. Si les armées permanentes et toutes leurs charges accessoires étaient abolies, si tous les monopoles autres que celui de la terre étaient supprimés, si tous les gouvernements devenaient des modèles d’économie, si tous les profits des spéculateurs, des intermédiaires, de toutes sortes d’agents de banque étaient évités, si chacun devenait si foncièrement honnête qu’il ne serait nécessaire d’avoir ni agents de police, ni tribunaux, ni prisons, ni aucune précaution contre la malhonnêteté, le résultat
(P 511) ne différerait pas de celui qui a suivi l’accroissement du pouvoir de production.
Bien plus, ces bénédictions mêmes n’apporteraient-elles pas la faim à nombre de ceux qui, maintenant, s’arrangent pour vivre ? N’est-il pas vrai que si l’on proposait aujourd’hui ce que tous les Chrétiens devraient demander dans leur prière, savoir la dissolution de toutes les armées d’Europe, la perspective de jeter sur le marché du travail tant de travailleurs sans emploi susciterait les plus grandes craintes ?
On peut très aisément discerner l’explication de ce paradoxe et d’autres semblables de notre époque embrouillée de tous les côtés. L’effet de toutes les inventions et améliorations qui augmentent la puissance de production, qui évitent le gaspillage et économisent l’effort, est de diminuer le travail exigé pour un résultat donné, et de cette manière pour épargner du travail, de sorte que nous en parlons comme étant des inventions ou des améliorations qui allègent le travail. Dès lors, dans un état naturel de la société où les droits de tous à l’usage de la terre sont reconnus, des améliorations qui économisent de la main-d’œuvre pourraient être poussées aussi loin qu’on peut l’imaginer sans diminuer la demande en hommes, puisque dans de telles conditions naturelles, cette demande en hommes dépend de leur jouissance personnelle de la vie et des puissants instincts que le Créateur a implantés dans la nature humaine. Mais dans cet état contre nature de la société où les masses d’hommes sont déshéritées de tout sauf du pouvoir de travailler quand l’occasion favorable de travailler leur est accordée par d’autres, alors la demande en hommes devient simplement la demande que font de leurs services ceux qui disposent de cette occasion, et l’homme lui-même devient une marchandise. C’est pourquoi, bien que l’effet naturel de l’amélioration dans l’économie de la main-d’œuvre soit d’augmenter les salaires, cependant, dans la condition contre nature que la propriété privée de la terre engendre, l’effet — même de ces améliorations morales telles que la dissolution des armées et l’épargne du travail que le vice impose — est en diminuant la demande commerciale, de diminuer les salaires et de réduire les ouvriers ordinaires à la faim ou à l’indigence. Si les inventions et les améliorations qui économisent la main-d’œuvre pouvaient être menées jusqu’au point même d’abolir la nécessité du travail, quel serait le résultat ? Ne serait-ce pas que les propriétaires fonciers pourraient alors obtenir toute la richesse que la terre est capable de produire, et n’auraient plus besoin du tout des ouvriers qui devraient alors, soit mourir de faim, soit vivre en dépendant de la libéralité de ces propriétaires fonciers ?
(P 512)
« Ainsi, aussi longtemps que dure la propriété privée de la terre — aussi longtemps que quelques hommes sont traités comme propriétaires de la terre et que d’autres hommes ne peuvent vivre sur elle que si les premiers le tolèrent — la sagesse humaine ne peut imaginer aucun moyen d’éviter les maux de notre condition actuelle. »
Cette doctrine de la terre gratuite (sauf pour les impôts dont elle serait frappée) est une doctrine large et juste que nous serions heureux de voir appliquer de suite, bien que personnellement, nous n’en profiterions pas. Elle apporterait sans doute un soulagement à la société, quoique sa destruction des valeurs foncières créerait une secousse égale ou plus forte que ne le feraient les desseins socialistes, à moins d’être atténuée, graduée comme cela a été suggéré plus haut, par une annonce préalable. Elle se combinerait rapidement avec les aspects plus modérés du socialisme et leur donnerait une plus grande permanence ; parce que la terre, source unique de richesse, étant dans les mains de tous les gens dans de telles conditions, il ne serait jamais inévitable que des personnes bien portantes, actives, meurent de faim : tous pourraient au moins récolter des produits agricoles pour se nourrir. Nous croyons que cela serait une mesure sage et juste et en accord avec la loi divine comme le montre avec talent M. George ; pourtant, ce ne serait pas la panacée pour tous les maux de l’humanité. La création gémissante continuerait à gémir jusqu’à ce que la droiture et la vérité soient pleinement établies sur la terre et que tous les cœurs soient amenés en accord avec elles, et l’égoïsme trouverait encore occasion de prendre « toute la crème » et de ne laisser que du « lait écrémé » pour les stricts besoins des autres.
Comme preuve qu’un impôt unique sur la terre ne suffirait pas à lui seul à faire face aux exigences des difficultés sociales et financières, ni à détourner le désastre et la ruine sociale qui approchent, nous citons un exemple de son échec manifeste. Pendant de longs siècles, l’Inde a eu un impôt unique, un impôt foncier seulement, le sol étant occupé en commun et travaillé sous la surveillance du village. Le résultat est que les deux tiers environ de sa population sont des agriculteurs — proportion plus élevée que chez n’importe quel autre peuple du
(P 513) monde. Il n’y a que depuis ces dernières années que les Anglais y ont introduit la propriété foncière privée, et jusqu’ici sur une région très limitée seulement. On peut dire que le peuple de l’Inde est satisfait et à l’aise, mais ce n’est certainement pas parce qu’il est riche et pourvu d’objets de luxe et de bien-être. Le machinisme moderne est en train de révolutionner rapidement les affaires des Hindous, de réduire leurs salaires déjà maigres et de les forcer à toujours vivre de peu ou sinon à mourir de faim. Nous avons déjà cité une autorité de valeur montrant que les, masses pauvres ne peuvent que rarement avoir les moyens de manger à satiété la nourriture la plus ordinaire. — Voir page 381 …
Lorsque nous concédons que la proposition de l’impôt unique (ou terre gratuite) ne se trouverait être qu’un facteur de soulagement temporaire, c’est bien tout ce que nous pouvons concéder, car si l’égoïsme est contrarié dans une direction, ce ne sera que pour percer ailleurs : rien ne servira d’une manière efficace sauf de « nouveaux cœurs » et des « esprits droits », et ceux-ci ne peuvent être produits ni par la doctrine de l’Impôt unique ni par aucune autre théorie humaine.
Supposez, par exemple, que les gens aient la, terre ; ce serait chose facile pour une union de capitaux de refuser d’acheter les produits agricoles sauf aux prix fixés par elle, tout ‘justes suffisants pour permettre aux producteurs de vivre, et d’un autre côté, de diriger et de fixer des prix élevés sur tout ce que l’agriculteur doit nécessairement acheter, depuis les engrais et le matériel agricole jusqu’aux vêtements de sa famille et les choses nécessaires à la maison.
Il est certain que cette condition même est proche : la Loi de l’Offre et de la Demande opère trop lentement au gré de ceux qui sont avides de richesses. Le Travail ne peut arrêter le fonctionnement de cette loi, et il est écrasé à la fois par la machine et la population croissante mais le Capital peut la contrecarrer tout au moins partiellement en formant des trusts, des associations, des syndicats, etc., pour avoir tout à fait ou presque, la haute main sur les ressources et les prix. L’Entente du Charbon en est une illustration.
(P 514)
De quelle utilité serait, nous le demandons, l’Impôt unique contre cet esprit d’égoïsme ? Il serait impuissant !
Supposez pourtant que la terre gratuite et l’impôt unique soient mis en application demain ; supposez que les terres cultivées soient exemptes de tous impôts ; que chaque ferme soit dotée d’une maison, d’un cheval, d’une vache, d’une charrue et d’autres choses utiles ; supposez que le résultat en soit le doublement de la surface actuelle en cultures et le doublement des récoltes actuelles. Cela assurerait une abondance de blé, de céréales et de légumes pour la nourriture des bien-portants et de ceux qui prospèrent ; mais le grand surplus abaisserait tellement les prix qu’ils ne couvriraient pas les frais pour l’expédier au marché, sauf dans des conditions favorables. Il en est ainsi parfois dans les conditions présentes : on laisse pourrir des milliers de « bushels » de pommes de terre et de choux parce que leur valeur ne couvrirait pas les frais de manipulation. La première année pourrait attirer des villes vers les fermes susdites des milliers d’hommes robustes et décidés, très désireux de se servir : cela libérerait le marché du travail urbain, ferait temporairement augmenter les salaires de ceux qui resteraient dans les villes, mais cela ne durerait seulement qu’une année. Les fermiers, se rendant compte qu’ils ne pourraient acheter de vêtements et les choses nécessaires à la maison avec le produit de la vente du blé et des pommes de terre, soit d’une manière directe ou par l’échange, abandonneraient l’agriculture, retourneraient dans les villes et se mettraient avec vigueur sur les rangs pour obtenir tout ce qu’il leur serait possible d’obtenir qui pût leur fournir davantage que la simple subsistance — tout ce qui leur accorderait une part du bien-être matériel et du luxe.
Non ; la terre gratuite est utile pour éviter la famine, et c’est une condition convenable parce que notre généreux Créateur a donné la terre à Adam et à sa famille comme héritage commun ; ce serait d’un grand secours dans nos difficultés présentes, si le monde entier avait un Jubilé de restitution de la terre et la remise des dettes tous les cinquante ans, comme en avaient les Juifs. Mais ces choses ne seraient purement et simplement que des palliatifs maintenant, comme elles le furent pour les Juifs, et comme elles le sont encore en Inde.
(P 515) L’unique remède est le grand Jubilé – antitype qui sera établi par le futur Roi de la terre — Emmanuel.
D’AUTRES ESPÉRANCES ET D’AUTRES CRAINTES
Nous avons examiné les principales théories proposées pour améliorer les conditions actuelles, mais il est clair qu’aucune d’elles n’est adéquate aux besoins de la situation. Outre ces théories, il y a un certain nombre de gens qui, sans cesse, prêchent et prient sur ce qu’ils voient de mal, qui désirent que quelqu’un arrête la course du monde, mais qui ne voient ni ne suggèrent quelque chose qui ait même un semblant de possibilité pratique.
Toutefois, à ce propos, nous ne devons pas oublier de faire mention de quelques âmes honnêtes, mais qui manquent totalement d’esprit pratique ; elles imaginent vainement que si les églises étaient conscientes de la situation, elles pourraient éviter la calamité sociale menaçante, révolutionner la société et la rétablir sur une nouvelle et meilleure base. Elles disent : si seulement on pouvait réveiller les églises, elles conquerraient le monde pour Christ et pourraient elles-mêmes établir sur la terre un Royaume de Dieu en le basant sur l’amour et la loyauté envers Dieu et l’amour du prochain comme soi-même. Certaines d’entre elles affirment même que cet esprit, l’esprit de Christ dans les églises, serait la seconde venue de Christ.
Il est à peine nécessaire de souligner combien cette théorie est irrémédiablement impraticable ! Ce que ces personnes considèrent comme étant sa force est en réalité sa faiblesse : le nombre. Ils considèrent le nombre de Chrétiens — 300 000 000 — et disent : « Quelle puissance ! » Nous considérons le même nombre et disons : « Quelle faiblesse ! »
Si ce chiffre énorme représentait des saints, mus et dirigés par l’amour, il y aurait vraiment une force derrière cet argument, et il semblerait entièrement pratique de dire que s’ils étaient conscients de la vraie situation, ils pourraient révolutionner la société et le feraient tout de suite. Mais hélas ! « ivraie » et la « balle » prédominent, et la classe du « froment » est peu nombreuse. Comme le déclarait le grand Berger, son troupeau n’est qu’un Petit Troupeau,
(P 516) d’aucune réputation ni influence comme son Maître, et parmi ses membres il n’y a « pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup, de nobles » (1 Cor. 1 : 26). « Ecoutez, mes frères bien-aimés, Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres quant à ce monde, riches en foi et héritiers du Royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment ? » — Jacques 2 : 5.
Non, non ! L’esprit de Christ dans son Petit Troupeau n’est pas suffisant pour lui donner le Royaume ! L’Eglise n’a jamais été dépourvue de ceux qui avaient cet esprit. Comme notre Seigneur le déclara avant de nous quitter, savoir, qu’il serait avec nous jusqu’à la fin de l’Age, ainsi en a-t-il été. Mais, il promit également que, de même qu’il s’en allait (personnellement) à la fin de l’Age judaïque, ainsi reviendrait-il (personnellement) à la fin de cet Age-ci. Il nous donna l’assurance que, durant son absence, tous ceux qui lui seraient fidèles « souffriraient la persécution » — que ses cohéritiers du Royaume « souffriraient la violence » jusqu’à ce qu’il revienne et les reçoive auprès de lui. Alors, il récompenserait leur fidélité et leurs souffrances par la gloire, l’honneur et l’immortalité, et une part à son trône et sa puissance pour bénir le monde avec un gouvernement juste, droit, et la connaissance de la vérité, et finalement pour détruire tous les ouvriers volontaires de l’iniquité d’entre les ouvriers de la droiture. Pour ceci, non seulement la création gémis- sante, mais nous-mêmes également qui avons les prémices de l’esprit (Rom. 8 : 23) devons le désirer et attendre le moment du Père et la manière de l’accorder du Père. Il a montré clairement que le temps de ces bénédictions est proche, et qu’elles seraient introduites en châtiant le monde par un terrible temps de détresse auquel doit échapper la majorité du Petit Troupeau en étant changée et glorifiée dans le Royaume.
Cependant, afin que personne ne puisse jamais dire que la richesse et les avantages de l’instruction lui auraient permis de conquérir le monde, Dieu a donné précisément ces avantages à l’église nominale, à la « chrétienté ». Pourtant, ces occasions favorables paraissent agir
(P 517) en sens inverse, cultivant l’orgueil, l’arrogance et l’incroyance appelée « la critique supérieure » [Higher criticism], et se terminera par la ruine de la société. « Mais quand le fils de l’homme viendra, trouvera-t-il de la foi sur la terre ? »
LA SEULE ESPÉRANCE – « LA BIENHEUREUSE ESPÉRANCE »
« Attendant la bienheureuse espérance et l’apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ ». « …l’espérance proposée,- laquelle nous avons comme une ancre de l’âme, sûre et ferme. » « C’est pourquoi, ayant ceint les reins de votre entendement et étant sobres, espérez parfaitement dans la grâce qui vous sera apportée à la révélation de Jésus-Christ. » — Tite 2 : 13 ; Héb. 6 : 19 ; 1 Pi. 1 : 13.
En examinant cette question bien débattue de l’Offre et de la Demande qui fait tant pour partager le monde en deux classes, les riches et les pauvres, nous avons autant que possible évité de critiquer durement l’une ou l’autre des parties ; nous croyons fermement, comme nous nous sommes efforcé de le montrer, que les conditions présentes sont le résultat de la loi inhérente à l’égoïsme (conséquence de la chute d’Adam) qui domine la grande majorité autant des riches que des pauvres. Ces lois profondément établies de l’égoïsme inhérent à la nature humaine déchue sont détestées par un petit nombre de personnes (principalement les pauvres) qui,’ ayant trouvé Christ et s’étant soumises de tout cœur à son esprit et à sa loi d’amour, voudraient joyeusement abandonner tout égoïsme, mais ne le peuvent pas. Ces lois écrasent souvent marchands et entrepreneurs aussi bien qu’employés. Cependant, leur action est si certaine que si aujourd’hui, tous les riches mouraient et que leurs biens étaient distribués au prorata, ces lois en moins de quelques années reproduiraient les mêmes conditions qu’aujourd’hui. En fait, nombre des millionnaires d’aujourd’hui ont été des garçons pauvres. N’importe quel système de lois que la majorité des hommes pourrait décréter et qui les priverait des occasions favorables pour exercer leurs propensions à l’acquisition et à l’égoïsme, saperait la vie de progrès et ferait revenir la civilisation en arrière vers l’imprévoyance, l’indolence et la barbarie.
La seule espérance du monde, c’est le Royaume de notre
(P 518) Seigneur Jésus-Christ, le Royaume millénaire. C’est le remède de Dieu, promis depuis longtemps, différé jusqu’au temps marqué, et maintenant, Dieu merci proche, à la porte même. Une fois de plus, la situation très critique de l’homme sera l’occasion favorable pour Dieu, « l’objet du désir de toutes les nations viendra » à un Moment où l’ingéniosité et l’habileté de l’homme se seront épuisées à chercher un soulagement sans aucun résultat. En vérité, il semble que la méthode divine consiste à enseigner de grandes leçons dans les écoles de l’expérience. C’est ainsi que les Juifs, d’une manière directe (et nous et tous les hommes d’une manière indirecte) ont reçu par l’Alliance de la Loi, la grande leçon que’ par les œuvres de la Loi aucune chair (déchue) ne pouvait être justifiée devant Dieu. Ainsi, l’Eternel attire-t-il l’attention de ses élèves sur la meilleure Alliance de la Grâce par Christ.
Le temps de détresse, le « jour de Ta vengeance », par lequel se terminera l’Age présent et s’ouvrira l’Age millénaire, ne sera qu’une juste récompense pour des privilèges dont on a abusé, mais il tendra à humilier l’arrogance des hommes et à les rendre « pauvres en esprit », et prêts pour les grandes bénédictions que Dieu est disposé à répandre pour toute chair (Joël 2 : 28). Ainsi blesse-t-il pour guérir.
Cependant, quelqu’un peu familier avec le programme divin, pourrait peut-être demander : Comment le Royaume de Dieu peut-il être établi si toutes ces méthodes humaines ont échoué ? Quel plan différent propose-t-il ? Si son plan est indiqué dans la Parole de Dieu, pourquoi les hommes ne peuvent-ils pas le mettre en action de suite et éviter ainsi la détresse ?
Nous répondons à cela : le Royaume de Dieu ne sera pas établi par un vote du peuple, ni par celui de l’aristocratie ou des dirigeants. Au temps marqué Celui « auquel appartient le droit », celui qui l’acheta avec son précieux sang, « prendra le Royaume ». Il « prendra sa grande puissance et son règne ». La force sera employée : « Il les [les nations] paîtra avec une verge de fer, comme sont brisés les vases de poterie » (Apoc. 2 : 27). Il « rassemblera
(P 519) les nations, et réunira les royaumes pour verser sur eux son indignation, toute l’ardeur de sa colère, car toute la terre sera dévorée par le feu de sa jalousie. Car alors [après que les peuples seront rendus humbles et prêts à écouter et à suivre son conseil] il changera la [langue] des peuples en une langue purifiée, pour qu’ils invoquent tous le nom de l’Eternel pour le servir d’un seul cœur. » — Soph. 3 : 8, 9.
Non seulement le Royaume sera établi par la force et sera une puissance à laquelle les hommes ne pourront résister, mais il en sera ainsi à travers tout l’Age millénaire, car le règne entier aura pour dessein spécifique de vaincre les ennemis de la droiture. « Car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait mis tous les ennemis sous ses pieds » (1 Cor. 15 : 25). « Ses ennemis lècheront la poussière » (Ps. : 72 : 9). « Il arrivera que toute âme qui n’écoutera [n’obéira] pas ce prophète [le Christ ‘glorieux — antitype de Moïse] sera exterminée d’entre le peuple » (Actes 3 : 23), dans la Seconde Mort.
Satan sera lié : chacune de ses influences trompeuses et décevantes sera entravée, de sorte que le mal n’apparaîtra plus désormais aux yeux des hommes comme étant bon, ni le bien comme étant indésirable, mauvais ; la vérité n’apparaîtra plus désormais aux hommes comme (étant fausse ni la fausseté présentée comme étant vraie. — Apoc. 20 : 2.
Toutefois, comme nous l’avons montré jusqu’ici, le règne ne sera pas un règne de force seulement ; côte à côte avec la force, il y aura la branche d’olivier de la miséricorde et de la paix pour tous les habitants du monde qui, lorsque les jugements de l’Eternel seront sur la terre, apprendront la justice (Esaïe 26 : 9). Les yeux aveuglés par le péché seront ouverts, et le monde verra le bien et le mal, la justice et l’injustice, sous un jour tout à fait différent de celui sous lequel il les voit maintenant — une lumière « septuple » (Esaïe 30 : 26 ; 29 : 18-20). Les tentations externes actuelles seront en grande partie supprimées, les mauvaises actions ne seront ni autorisées, ni tolérées, mais un châtiment sûr et rapide s’abattra sur les transgresseurs, mesuré avec une justice infaillible par les juges glorifiés et compétents de ce temps-là qui auront également compassion des faibles. — 1 Cor. 6 : 2 ; Ps. 96 : 13 ; Actes 17 : 31.
(P 520)
Ces juges ne jugeront pas selon l’ouïe de leurs oreilles, ni d’après la vue de leurs yeux, mais ils jugeront avec justice (Esaïe 11 : 3). On ne commettra aucune faute ; aucune mauvaise action ne restera sans sa juste rétribution : même des tentatives de commettre des crimes cesseront rapidement sous de telles conditions. Tout genou se ploiera [devant le pouvoir alors en action] et toute langue confessera [la justice de l’arrangement] (Phil. 2 : 10, 11). Alors, pour beaucoup sans doute, d’une manière graduelle, le nouvel ordre de choses commencera à parler au cœur de certains, et ce qui, d’abord, était une obéissance par la force, deviendra l’obéissance par amour et par appréciation de la droiture. Finalement, tous les autres, tous ceux qui n’obéiront que parce qu’ils y sont forcés, seront retranchés dans la Seconde Mort. — Apoc. 20 : 7-9 ; Actes 3 : 23.
Le gouvernement et la loi d’Amour seront imposés, non par le consentement de la majorité, mais contre elle. Il s’agira d’enlever la civilisation à ses idées républicaines et de placer temporairement l’humanité sous un gouvernement autocratique pour mille ans. Un tel pouvoir autocratique serait terrible entre les mains d’un maître méchant ou incapable ; mais Dieu nous soulage de toute crainte lorsqu’il nous informe que le Dictateur de cet Age-là sera le Prince de Paix, notre Seigneur Jésus-Christ : c’est lui qui a tant à cœur le bonheur de l’homme qu’il a déposé sa vie comme prix de rançon pour nous, afin qu’il pût avoir l’autorité de soustraire à la souillure du péché et de rétablir à la perfection et à la faveur divine tous ceux qui accepteront sa grâce par l’obéissance à la Nouvelle Alliance.
Au commencement de l’Age millénaire, il apparaîtra clairement à tous que la ligne de conduite tracée par Dieu est la seule qui soit adaptée aux exigences de la condition du monde malade, du péché et de l’égoïsme. Vraiment, certains voient déjà que le monde a un très grand besoin d’un gouvernement fort et juste : ils commencent à discerner, de plus en plus, que les seules personnes à qui l’on peut sans danger confier une liberté absolue sont celles qui ont été loyalement converties,
(P 521) qui ont une volonté renouvelée, un cœur renouvelé, l’esprit de Christ.
L’ATTITUDE CONVENABLE DU PEUPLE DE DIEU
Cependant, certains pourraient demander : Que devons-nous faire maintenant, nous qui voyons ces choses sous leur vrai jour ? Si nous possédons du terrain inoccupé, devons-nous en faire don ou l’abandonner ? Non, cela ne servirait à rien d’utile, à moins que vous ne le donniez à quelque voisin pauvre qui en ait réellement besoin : cependant, s’il ne devait pas réussir dans l’usage qu’il en ferait, il vous reprocherait sans doute d’être à l’origine de ses malheurs.
Si nous sommes des fermiers, des marchands ou des fabricants, essaierons-nous de faire des affaires en tablant sur les conditions qui existeront dans l’Age millénaire ? Non, car comme nous l’avons déjà montré, agir ainsi serait attirer sur vous un désastre financier, préjudiciable à vos créanciers et à ceux qui dépendent de vous, aussi bien qu’à ceux que vous employez.
Nous suggérons que tout ce que nous pouvons faire maintenant est que notre modération soit connue de tous les hommes : ne pressurer personne ; payer un salaire raisonnable ou donner une part équitable de nos profits, sinon n’engager personne à notre service ; éviter la malhonnêteté sous toutes ses formes ; « rechercher ce qui est bien devant tous les hommes » (Seg.); donner un exemple de ce qu’est « la piété avec le contentement », et toujours, par la parole aussi bien que par les actes, montrer qu’on ne doit être ni violent, ni même mécontent ; chercher à conduire ceux qui sont fatigués et chargés à Christ et à la parole de la grâce de Dieu, par la foi et une pleine consécration. Si, par la grâce de Dieu, vous devez être l’intendant de plus ou moins de richesses, ne les adorez pas, ne cherchez pas à voir non plus combien vous pouvez amasser pour vos héritiers qui pourraient se quereller au sujet de cet argent et en faire un mauvais usage, mais employez-le, conformément à votre alliance, pour le service de Dieu et sous sa direction, vous souvenant que vos biens ne sont pas les vôtres mais ceux de Dieu, que vous ne pouvez les garder, ni les employer pour vous-mêmes, mais que Dieu vous les a confiés à vos soins, afin que vous les utilisiez joyeusement à son service, pour la gloire de notre Roi.
Comme suggestion de l’application pratique de ces
(P 522) remarques concernant les affaires de la vie nous reproduisons ci-dessous, une lettre qui nous a été envoyée par un lecteur de notre journal bimensuel, The Watch Tower, et notre réponse. Elle peut être utile à d’autres.
DANS LE MONDE MAIS NON PAS DU MONDE
Pennsylvanie
CHER FRÈRE : Dimanche dernier, à notre réunion, nous avions une leçon sur Rom. 12 : 1, et parmi de nombreuses pensées qui se dégageaient d’un sujet aussi riche, il s’en trouvait quelques-unes concernant l’emploi que nous faisons de notre temps consacré. Je suis occupé dans une affaire d’épicerie, mais actuellement les conditions du commerce en général exigent presque une « éternelle vigilance ».
La question qui s’est présentée à moi de nombreuses fois est la suivante : Devrais-je, en tant que l’un des consacrés, déployer de tels efforts pour faire et conserver une clientèle comme il est nécessaire de le faire maintenant ? Je distribue chaque semaine des listes de prix, en offrant souvent des marchandises à un prix inférieur au prix coûtant pour attirer les clients, et pour des marchandises plus lucratives, je distribue des « cadeaux » ; ce n’est pas que je préfère cette sorte de transaction, mais parce que, tous mes concurrents font la même chose, et, pour conserver mon commerce et mon gagne-pain (car je ne suis pas riche), je suis obligé de suivre l’exemple.
Un autre aspect répréhensible de cette sorte de méthode, c’est qu’elle opprime mes confrères plus faibles dans le même commerce. Je connais nombre d’entre eux ; parmi eux se trouvent des veuves qui essaient de gagner honnêtement leur vie en vendant des marchandises, mais je suis forcé de mettre de côté tous mes meilleurs sentiments et de « foncer » quel que soit celui à qui cela peut faire du tort. C’est là une triste confession pour quelqu’un qui essaie d’obtenir la mission d’assister notre Seigneur à sortir l’humanité du gouffre de l’égoïsme duquel elle doit être sauvée dans l’Age que nous croyons être si proche maintenant. Je n’essaie pas d’obtenir de vous la justification de mes actions dans cette affaire, mais je désire avoir votre opinion quant à la ligne de conduite recommandable pour des enfants de Dieu qui se déclarent tels et qui sont engagés dans les affaires de nos jours quand il s’agit, pour ainsi dire, du gros poisson dévorant les plus petits.
Vôtre en Christ, …
En réponse : Les conditions que vous spécifiez sont communes à presque toutes les formes d’affaires, et prévalent d’une manière croissante à travers
(P 523) le monde civilisé. Cela fait partie du « trouble » de notre époque. L’augmentation de la capacité de la machine et l’accroissement de la famille humaine contribuent tous deux à réduire les salaires et à rendre plus précaire l’emploi régulier. Il y a plus d’hommes qui cherchent à s’engager dans les affaires ; la concurrence et les petits bénéfices, tout en étant bénéfiques pour les pauvres, tuent commercialement le petit magasin et les prix élevés. En conséquence, les petits magasins et les petites usines s’effacent devant de plus grands et de plus grandes qui, en raison de dispositions meilleures et plus économiques, permettent un meilleur service et des prix plus bas. De plus grands stocks de marchandises plus fraîches à des prix inférieurs et avec un meilleur service sont à l’avantage général du public, en comparaison des petites boutiques d’antan avec des marchandises défraîchies, des prix élevés et un service nonchalant, même si, temporairement, certaines pauvres veuves ou les gens estimables peuvent souffrir à cause d’une incapacité mentale, physique ou financière à marcher de pair avec le nouvel ordre de choses. Pourtant, même ces personnes, si elles sont capables d’examiner la situation avec largeur d’esprit et bienveillance, peuvent se réjouir du bien-être public même si cela les oblige à un changement défavorable dans leurs propres affaires. Elles peuvent se réjouir avec ceux qui en sont bénéficiaires, et attendre patiemment le Royaume prochain qui étendra les bénédictions de Dieu de façon à les rendre plus communes à tous que maintenant. Mais, seuls, ceux qui ont la « nouvelle nature » et son amour peuvent considérer les choses ainsi, sans égoïsme. La concurrence commerciale actuelle n’est donc pas un mal absolu. Elle est une des leçons données au monde comme une étude préparatoire avant d’entrer dans l’Age millénaire, lorsque les affaires du monde seront, en grande partie, sinon totalement, sur une base socialiste, non pour l’enrichissement ou pour l’avantage des individus, mais pour le bien-être général.
Dans l’intervalle, cependant, la tendance égoïste à la concurrence augmente continuellement d’une manière plus irritante pour ceux qui possèdent des impulsions nobles et généreuses, qu’ils soient des chrétiens ou non. Nous sommes heureux
(P 524) de remarquer votre appréciation personnelle du sujet et votre mécontentement à l’égard des conditions présentes.
Nous vous conseillons de garder une grande vigilance, et, si vous voyez quelque autre branche commerciale moins encombrée de concurrents et par conséquent plus favorable, prenez-la. Si non, ou jusqu’à ce que vous trouviez une affaire plus favorable, ou des conditions plus favorables, nous vous conseillons de continuer là où vous êtes, et de modifier votre ligne de conduite jusqu’à un certain point : par exemple, partager les choses aussi équitablement que vous le pouvez entre les trois intérêts en opposition, savoir, les vôtres, ceux de vos concurrents et ceux de vos patrons ou de vos voisins. Si votre affaire fait face aux dépenses et vous permet un bénéfice raisonnable, efforcez-vous de la conserver, mais ne la forcez pas pour essayer de devenir « riche », car « ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans un piège » (1 Tim. 6: 9). Nous devrions éviter toute concurrence déloyale ou toute bassesse envers des concurrents, et toute dépréciation des marchandises devant les clients. La justice et l’honnêteté doivent être maintenues à tout prix ensuite, ajoutez-y toute la « modération » en faveur de votre concurrent que l’amour peut suggérer et que les circonstances permettent.
Nous ne devons pas oublier l’injonction : « Tu n’iras pas après la foule pour mal faire » (Ex. 23 : 2), ni conseiller le plus léger compromis avec l’injustice. Votre question, nous le comprenons, n’est pas de savoir si vous pouvez ou non, commettre l’injustice, mais de savoir si oui ou non l’amour vous permettra de faire tout ce qui ne rencontrera pas l’opposition de la justice et que l’usage sanctionne. Le cœur mondain ne se fait aucun scrupule à propos de telles « bagatelles » : c’est votre « nouvelle nature », dont la loi est l’amour, qui préférerait voir prospérer votre concurrent, et désire ardemment faire le bien à tous les hommes selon qu’elle en a l’occasion favorable, spécialement à la famille de la foi. Cultivez cette « nouvelle nature » en obéissant à sa loi d’amour de toute manière possible. « S’il est possible, autant que cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes », agissant avec générosité et conformément à l’amour. Celui qui est pénétré de l’esprit d’amour
(P 525) ne pense aucun mal à l’égard de son concurrent et ne cherche pas purement et simplement son bien-être personnel, et ne se réjouirait pas de la faillite de son concurrent.
La difficulté est que le monde entier continue sa course sur le principe corrompu de l’égoïsme lequel n’est pas du tout conforme à l’amour. Pour certains, le plan est supérieur, pour d’autres il est inférieur : certains limitent leur égoïsme à la borne de la justice, d’autres descendent dans l’égoïsme jusqu’à l’injustice et la malhonnêteté, et la tendance est toujours vers le bas. La « nouvelle-créature » en Christ ne doit jamais • aller au-dessous de la justice et de l’honnêteté, et doit chercher autant que possible à s’élever au-dessus du niveau mondain le plus ,élevé, vers l’amour parfait. Si les intérêts de l’acheteur sont toujours en opposition à ceux du vendeur, la faute en est au système actuel de concurrence. Aucune puissance ne peut corriger, diriger et modifier tout ceci sauf la seule puissance que Dieu a promise, le Royaume millénaire qui imposera la règle d’amour et libérera des dispositions et des chaînes de l’égoïsme tous ceux qui, lorsqu’ils discerneront et connaîtront le meilleur chemin, accepteront l’assistance qui leur sera alors fournie.
* * *
Nous avons vu que sous la loi sociale actuelle, est inévitable soit l’écrasement des masses humaines dans la fange, comme esclaves de la richesse et de l’intelligence, soit l’effondrement de l’ordre social actuel sous le règne de l’anarchie ; l’Ecriture déclare que ce sera cet effondrement et que cela apportera une terrible rétribution sur tous les hommes, riches et pauvres, savants et ignorants ; que par une démonstration réelle, cela enseignera aux hommes la folie de l’égoïsme, et les aidera à l’avenir à apprécier la sagesse de la loi d’amour de Dieu et que la « grande tribulation » enseignera à tous une terrible leçon, mais en fin de compte des plus profitables. Nous sommes donc préparés à examiner dans notre prochain chapitre ce que les Ecritures ont à nous dire au sujet de la chute de Babylone, la chrétienté, dans la grande lutte qui mettra fin au présent Age.
(P 526)
Nous avons examiné l’échec de la chrétienté à adopter l’esprit de l’enseignement de Christ, et vu comment la connaissance et la liberté obtenues grâce à ses enseignements étaient mêlées à l’esprit du mal, de l’égoïsme, et comme d’après les signes annonciateurs actuels nous observons l’approche certaine de la terrible calamité, de l’anarchie et de toute œuvre mauvaise, nous comprenons que la permission de cette calamité est juste, nous y lisons la loi divine de rétribution. Bien que nous déplorions les malheurs qui vont apporter cette rétribution, tout en en discernant la nécessité et la justice, et ayant appris également les desseins de miséricorde qui doivent être accomplis éventuellement par ces mêmes moyens, nos cœurs s’écrient : « Grandes et merveilleuses sont tes œuvres, Eternel Dieu Tout-Puissant ! Justes et véritables sont tes voies, ô Roi des nations ! » — Apoc. 15 : 3.
“Attendez le matin – il viendra en effet,
Aussi sûrement que la nuit a donné le besoin ;
Les yeux impatients vont enfin tendre la vue,
La lumière du matin ne sera plus sans réponse :
Ils ne s’efforceront plus vainement à travers les larmes
Pour percer l’obscurité de tes doutes et de tes craintes,
Mais, baignés par la rosée et les rayons de l’aube,
Ils souriront avec ravissement à la disparition des ténèbres.
“Attends le matin, ô enfant frappé,
méprisé, flagellé, persécuté et injurié,
Assoiffé et affamé, personne n’a pitié de toi,
Couronné par les épines tordues de l’agonie –
Pas la moindre lueur de soleil à travers l’obscurité dense.
infini des ténèbres pour t’y conduire.
Attends le matin – il viendra en effet,
Aussi sûrement que la nuit a donné le besoin.”
– James Whitcomb Riley